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Droits des Peuples autochtones :
La position régressive de la France
et de l’union Européenne vis-à-vis de la
reconnaissance par le droit international
des droits des Peuples autochtones


Par Alexis Tiouka

Spécialiste en droit international
et en droits des peuples autochtones



L’avenir des Peuples autochtones du monde est en grande partie lié à un projet, la ratification de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Tant l’Etat français que des représentants des Peuples autochtones de Guyane participent à la mise en place de cet outil international. Il constitue pour les quelques 300 millions d’Autochtones à travers le monde (environ 5000 peuples) la promesse d’un avenir où les Etats membres des Nations Unies réagiraient enfin aux violations des droits de l’homme (dépossession, colonisation, racisme, discrimination, exclusion, marginalisation, ethnocide culturel et génocide) qui affectent les Peuples autochtones à travers le monde.

Ce projet trouve son origine dans la création du Groupe de travail sur les populations autochtones des Nations Unies. Durant une décennie, depuis 1985, les membres de ce groupe ont pensé et rédigé le projet de Déclaration. En 1994, il fut approuvé à l’unanimité par la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies. Un an après, en 1995, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies créa un nouveau groupe, le Groupe de travail intersession à composition non limitée (désormais GTPD) dont l’objectif devait être d’aboutir à une ratification de la Déclaration par les états membres des Nations Unies.

A ce jour seuls deux articles ont été ratifiés et ceci résulte en grande partie de l’attitude de certains états à l’encontre de la question autochtone. Pourtant, de nombreux états, notamment le Danemark, le Canada, le Mexique et le Brésil, sont aujourd’hui prêts à aller dans le sens d’une ratification de la Déclaration mais ils sont contrés par l’action obstructionniste des premiers, à savoir : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

La position de l’Etat français sur ce projet pourrait se résumer à des contradictions, des retournements et quelques rares avancées tout de suite suivies de retours en arrières. Pourtant, en 2004, le discours du Président Jacques Chirac laissait espérer un appui de la France à ce projet. En effet, le 23 juin 2004, le Président recevait une délégation de représentants amérindiens au Palais de l’Elysée à l’occasion de quoi il prononça un discours faisant référence aux « drames du passé », à la « sombre » histoire coloniale des peuples autochtones en reconnaissant le rôle qu’y avait joué la France. Il souligna par ailleurs l’importance de la « diversité des cultures » et la nécessité pour la France de répondre à la question autochtone dans un « esprit de fraternité […] de générosité [et de] sensibilité ». Il mentionna enfin la nécessité d’une reconnaissance par le droit international des droits des Peuples autochtones :

« […] il est temps que la particularité et la dignité de vos nations soient affirmées et protégées en droit international. Il y va du respect que l’humanité se doit à elle-même […] La façon dont le monde moderne saura reconnaître et aborder la question des Peuples autochtones témoignera de son aptitude à faire naître une étape nouvelle du progrès humain […] La cause des Peuples autochtones […] rejoint les grandes questions de notre temps. »

Le choix du Président de la République française d’employer les termes de nations et de peuples laissait alors entendre une reconnaissance du droit collectif qui pourtant ne fût suivie d’aucune action en ce sens par les différentes délégations françaises chargées d’examiner le projet de déclaration. Or, la question des droits collectifs, tout comme celle du droit à l’autodétermination, constitue de toute évidence des clés de voûte de ce projet.

Les droits collectifs des Peuples autochtones sont considérés comme faisant partie des droits de l’homme et sont de ce fait traités comme tels par les Nations Unies. Pourtant, un certain nombre d’Etats, notamment ceux de l’Union européenne (France, Royaume-Uni et Pays-Bas, notamment) continuent de dénier aux Peuples autochtones toute reconnaissance de leurs droits collectifs.

« […] Nous pouvons conclure qu’au sein de l’Union européenne un vaste consensus s’est fait jour pour établir une distinction nette entre les droits collectifs des peuples autochtones d’une part et les droits de l’homme d’autre part. Ce consensus grandissant au sein de l’Union européenne a fini par établir qu’il est hors de question que l’Union européenne considère une acceptation mutuelle des droits humains collectifs. »
Extrait d’une allocution du gouvernement hollandais au Parlement en janvier 2005

Ce refus de certains états de l’Union européenne d’accepter que les droits collectifs des Peuples autochtones soient reconnus comme des droits humains a pour conséquence la tentative de détournement de certaines parties du projet de Déclaration. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a proposé l’amendement suivant1 pour que soit ajouté un paragraphe au préambule 18bis :

« Reconnaissant et affirmant que les personnes autochtones ont le droit à l’ensemble des droits humains reconnus en droit international sans discrimination, et que les peuples autochtones possèdent les droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, bien-être et développement intégral comme peuples. »

Certes, les droits collectifs sont présentés ici en termes positifs, cependant ce paragraphe soulève de nombreux problèmes. En effet, les droits des autochtones en tant qu’individu y sont décrits comme des « droits humains reconnus par le droit international » mais les droits collectifs, quant à eux, ne sont jamais décrits comme des « droits humains », ni « reconnus par le droit international ». Ce qui permet une lecture toute autre du paragraphe qui laisse entendre qu’on n’accorde pas ici de statut légal à la notion de droits collectifs des peuples autochtones.

La position des représentants autochtones concernant ce paragraphe est qu’il pourrait être validé à condition d’être remanié, c’est-à-dire à condition que les droits collectifs des peuples autochtones y soient reconnus en tant que droits humains et comme relevant du droit international. A titre d’exemple, le Grand Conseil des Cris et la Conférence circumpolaire inuit proposent conjointement que le paragraphe soit de nouveau modifié par l’ajout à la fin de l’amendement de la proposition : « et pour la jouissance des droits de leurs membres à titre individuel ». Une telle proposition permettrait que soit mis en évidence le fait que les droits collectifs des peuples autochtones sont indispensables pour qu’ils puissent jouir pleinement de leurs droits individuels.

Malheureusement, la proposition de ce paragraphe a eu une autre conséquence néfaste : certains états demandent aujourd’hui que d’autres articles, référant à d’autres droits autochtones, soient remaniés dans le même sens. Ils souhaitent donc que ces droits ne soient pas considérés comme relevant des droits humains. La discussion est donc à l’heure actuelle bloquée à cause des réticences de quelques états qui craignent, sans fondement, que les droits des peuples autochtones ne viennent constituer une menace à l’encontre des droits humains individuels. Mais il s’agit là d’une incompréhension profonde de la relation entre droit individuel et droit collectif et va à l’encontre d’une idée communément admise par les instances internationales, le fait que

« la protection effective des droits humains individuels et des libertés fondamentales des peuples autochtones ne peut pas être réellement atteinte sans la reconnaissance de leurs droits collectifs […]. »
Rapport du Séminaire des Nations Unies sur les effets du racisme et de la discrimination raciale sur les relations sociales et économiques entre les peuples autochtones et les états (1989)

L’autre point de débat dans ce projet de déclaration concerne les articles liés à la reconnaissance du droit à l’autodétermination des Peuples autochtones. Les articles 3, 31 et 36 concernent plus particulièrement ce droit :

Article 3
« Les peuples autochtones ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »

Article 31
« Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à disposer d’eux-mêmes sous une forme qui leur est propre, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes en ce qui concerne les questions relevant de leurs affaires intérieures et locales, notamment, la culture, la religion, l’éducation, l’information, les médias, la santé, le logement, l’emploi, la protection sociale, les activités économiques, l’administration des terres et des ressources, l’environnement et l’accès de non-membres à leurs territoires, ainsi que les moyens de financer ces activités autonomes. »

Article 36
« Les différends qui ne peuvent être réglés par d’autres moyens doivent être soumis aux instances internationales compétentes choisies d’un commun accord par toutes les parties concernées. »

On comprend à la lecture de ces différents articles, qui traitent de droits fondamentaux pour les Peuples autochtones, les inquiétudes de certains états … Ils y voient le plus souvent le risque de souhait de sécession de la part des Peuples autochtones et le risque de l’obtention d’une immunité vis-à-vis des lois nationales. Or, le fait de reconnaître ce droit à l’autodétermination ne remet pas en cause les autres droits fondamentaux tels qu’ils sont présentés dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Concernant l’article 36, la crainte des états est à un autre niveau, ceux-ci s’inquiètent en effet du fait qu’il pourrait conduire à une ingérence extérieure dans des questions nationales. Mais cet article stipule bien que l’appel aux institutions internationales n’intervient que dans le cas où le conflit ne peut être réglé au niveau interne et que cette intervention n’est possible que s’il y a accord de toutes les parties.

La situation est donc bloquée au niveau international et dans la mesure où on arrive au terme de la décennie et du temps imparti pour ratifier le projet de déclaration, si on aboutit pas à un consensus durant l’année 2006, le mandat du GTPD pourrait ne pas être prolongé par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Ainsi, après vingt ans d’efforts, il pourrait ne pas y avoir de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Une telle conclusion serait inadmissible, en particulier au regard des nombreuses violations des droits humains à l’encontre des Peuples autochtones du monde. Il apparaît donc nécessaire aujourd’hui que la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, pour l’Europe (mais aussi tout autre pays entravant la bonne marche du processus de ratification) repensent leur stratégie et cessent d’entraver le projet de Déclaration sous le prétexte fallacieux selon lequel les droits collectifs des Peuples autochtones y sont affirmés comme des droits humains au niveau international.

Alexis TIOUKA
indigenous-peoples.gf@wanadoo.fr

Mars 2006



1. Présenté au départ par le Royaume-Uni, puis légèrement modifié par le Guatemala.

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