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Mon impromptu de juillet
par René Ladouceur

Mauriac le répétait de bon gré : les vacances apportent d’un seul coup ce que l’âge met longtemps à procurer : la liberté de penser, la joie d’en user comme bon vous semble, mais l’exigence aussi. On brûle de parler de n’importe quoi. Mais pas n’importe comment. Cette exigence a pour effet de prévenir l’indulgence, de protéger du détachement, d’éloigner l’indifférence. Autrement dit, cela me maintient en forme. Surtout pour écouter la radio toute la sainte journée. Pourquoi donc la radio ? Parce qu’elle diffuse en permanence ; parce qu’elle s’insinue plus naturellement qu’aucun autre média dans notre vie quotidienne ; parce qu’elle est devenue, en somme, le bruit de fond de nos journées, la radio est un indicateur de tendance. Elle reproduit fidèlement cette vapeur insaisissable qu’il est convenu d’appeler l’air du temps. Avec ses inflexions, sa spontanéité, ses maladresses. Elle nous parle au-delà des mots. Que nous dit, en cette fin de juillet 2008, Radio-Guyane ? Cette radio est un gros coquillage que l’on tient à l’oreille. Toutes émissions confondues, on y repère des nuances d’ensemble, des harmoniques invisibles, des tons se conjuguant d’un animateur à l’autre. A l’occasion du long week-end du 14 juillet, on y entendait la Guyane entière s’ébrouer dans une espèce de plaisir d’être. Volontaire. Eperdu. Passionné. A telle enseigne que, n’était l’audacieuse une de La Semaine Guyanaise*, je serais, comme beaucoup, passé à côté de la gravité de l’éviction d’André Paradis des antennes de Radio-Guyane. On pense à cette belle clameur de Péguy, qui dénonçait la passivité déshonorante des « âmes distraites ». A fortiori quand l’information elle-même se trouve congédiée, oubliée, comme tenue à distance, journalistiquement traitée a minima.

Je n’étais pas, pour ma part, un inconditionnel de La plume à l’oreille. Tant s’en faut. Pourtant, cette émission matutinale ne me laissait jamais indifférent. Et pour cause. André Paradis, c’est une voix radicalement dissidente, une voix venue d’ailleurs, un accent qui détonne et un souffle de liberté, une once d’insolence et une brise d’intelligence. Une bouffée d’oxygène, quoi. Dès la deuxième phrase, on comprend que cette voix-là n’appartient à aucune des tribus cayennaises répertoriées et ne participe à aucune des chamailleries croisées auxquelles se résume trop souvent l’éternel débat sur la liberté de la presse. Pourvu que le pesant silence qui entoure cette affaire ne soit pas en train d’annoncer un ralliement collectif à un système dont la prétendue pluralité est désormais surplombée par un principe d’acquiescement, une reddition globale du journalisme et de la pensée, une collaboration, fût-ce inconsciente, au nouvel ordre des choses : celui de la société de connivence, superficielle et intolérante, où, finalement, tous les coups sont permis et où l’on tire à vue sur ceux qui d’aventure baissent leur garde.

André Paradis a débuté sous Mitterrand et été exclu sous Sarkozy. Entre ces deux époques cathodiques que tout oppose, vingt-et-une années de fidélité à RFO-Guyane, à l’esprit critique et au grand public qui lui voue, quoi qu’en disent les Bladanautes, la même affection que l’on éprouve pour les personnages, à la fois bons vivants et fins esprits, des films mélancoliques de Claude Sautet. Il faut dire que le chroniqueur satirique a tout d’un spécimen unique, du rescapé d’une révolution qui, depuis l’arrivée d’ACG et l’irruption de CanalSat Caraïbes, a, en Guyane, bouleversé le paysage, démultiplié les écrans, atomisé le public, tiré les programmes vers le bas et repoussé l’intelligence toujours plus tard dans la nuit.

Il n’est pas indifférent que le licenciement de Paradis soit intervenu au moment même où le gouvernement a choisi de lancer la réforme de l’audiovisuel public, singulièrement à RFO.

N’ayons pas peur des mots : la critique de RFO n’est pas seulement légitime, elle est bienvenue. Premier média du département, il a évidemment de l’influence et du pouvoir. Il ne saurait s’en excuser ni le regretter : l’ambition de tout média digne de ce nom est d’être regardé, commenté, entendu, apprécié. Mais il arrive souvent à notre média public d’utiliser cette influence, comment dire ?, à mauvais escient. En effet, le devoir du service public, financé en partie par l’argent de la collectivité, n’est pas de faire à tout prix de l’audience, mais de remplir une mission d’information, d’éducation et de divertissement, dans le respect du pluralisme et des diversités culturelles.

On a fini par oublier que la réalité n'est pas une donnée qui s'impose à chacun, préalablement à toute analyse. C'est un paramètre de l'action politique, au milieu d'autres, qui relève d'un traitement approprié.

Je vois donc, dans le projet de suppression de la publicité à RFO, l'occasion inespérée pour que notre média régional s'investisse d'une véritable mission pédagogique, par laquelle, au lieu de se consacrer à la vedettisation de n'importe qui, il s'applique à expliquer, à analyser, à disséquer, pour nous permettre de regarder, de savoir, de comprendre. Tout nous y incite : l’importance des évènements qui se préparent, la stupéfiante mutation de notre société sur bien des plans, la nécessité de répondre aux questions de plus en plus contradictoires qui assaillent chacun de nous. Et, comme on le sait, notre Guyane, sans doute pour mieux s'accepter, a choisi d'engager avec le passé un bien singulier dialogue, fait d'admiration et de rancœur. On ne demande pas au passé de nous montrer la voie mais on le commémore, on le muséifie, on le sort de l'ombre, comme s'il fallait l'étreindre pour vivre enfin.

Pour toutes ces raisons, je crois plus que jamais au journalisme, cet artisanat de la démocratie. Jürgen Habermas, le philosophe allemand, a défini le premier « l'espace public », sans lequel la démocratie s'assèche dans des institutions abstraites et des procédures compliquées. L'espace public ? C'est le forum, l'assemblée symbolique du peuple, le lieu informel du débat qui permet la formation du jugement et la définition de la volonté générale. Et les journalistes sont précisément les agents de cet espace public. Ils fournissent à la délibération rationnelle son premier aliment, l'information. Sans eux, point de savoir immédiat, point de transparence dans les affaires publiques, point d'opinion éclairée. On mesure par là toute la portée du défi qui attend les journalistes de RFO-Guyane.


René Ladouceur
juillet 2008

*LSG 1281


 Du même auteur, sur blada.com :

Mai 2008 : Et si on relisait Elie Stephenson ?
Janvier 2008 : René Maran plus actuel que jamais
Septembre 2007 : La Question africaine
Juillet 2007 : Un si doux ennui
Janvier 2007 : Entre histoire et mémoire
Octobre 2006 : Notre grand voisin
Juillet 2006 : Le Foot-patriotisme
Juillet 2006 : Sous l'agression, la dignité
Mai 2006 : Adieu l'ami (un hommage à Jerry René-Corail)
Mars 2006 : Lettre ouverte à René Maran
Mars 2006 : Non à la régression
Janvier 2006 : Vive le débat

 


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