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Une oeuvre de salubrité publique
par René Ladouceur

Il n'est pas interdit de voir dans le succès d'estime de Variations littéraires un apologue pour la Guyane moderne. C'est en effet un livre qui doit sa naissance à Mayouri Kozé Tracé, une association littéraire présidée par Emilie Tocney-Dardé, l'auteur du délicieux Coeur Pagra, paru en 2005 chez Anne C. Ce roman, écrit à la lumière de la Guyane sous La ruée vers l'or, traite d'une valeur éternelle, la passion amoureuse, avec une pudeur révolue, certains diront : réconfortante. Et si, parfois, la prose d'Emilie Tocney-Dardé cède à un pathos démodé, aux métaphores emphatiques de la Belle Epoque, ce qui n'est évidemment pas sans charme, elle excelle dans l'art de signifier ce qui ne se dit pas ; de suggérer l'absolu ; de faire que chaque geste, chaque regard, chaque frôlement, chaque silence soit l'expression fugitive d'une émotion débordante. Cette version stendhalienne de la recherche du temps perdu sous les tropiques, qui fait le lien entre la Guyane du XIXe et celle du XXè siècle, débarque dans le nôtre avec une force stupéfiante et une douceur de soie. Coeur Pagra est triste et beau à la fois. Comme si, de la colonisation à la départementalisation, Emilie Tocney-Dardé voulait encore croire le style plus impérieux que la réalité ; comme si elle voulait, avec de belles phrases et d'éclatants adjectifs, à la fois portraiturer dans le marbre la Guyane d'hier et esquisser à l'encre de Chine celle de demain. Reproduire à l'identique la bonne vieille société créole et se souvenir, pour ne pas s'alarmer, de la Guyane recueillie, paisible, ensoleillée et reposante, avec ses chants d'oiseaux et ses vergers en fleurs. Où l'on retrouve, derrière les opinions d'une critique avertie, la prose riche, insolite, marbrée, parfumée de l'écrivain. Coeur Pagra est passé inaperçu en Guyane. Il est encore temps de se ressaisir. D'autant que l'on trouve chez Emilie Tocney-Dardé une sorte de classicisme formel, qui n'est qu'une forme de mépris de l'épate. Seule compte cette façon qu'elle a de s'approcher de ses personnages avec délicatesse, tendresse, compréhension, de les surprendre dans leur époque, leurs décors, leurs classes sociales, leurs préjugés, leurs travers même. En ces temps de cynisme généralisé, il y a presque de l'intrépidité à tisser comme elle un roman d'amour, où s'enlacent l'aventure et la passion.

C'est dire combien on relit Coeur Pagra avec ravissement. Les parents qui souhaitent voir leurs rejetons progresser en histoire guyanaise et en français voltairien devraient le laisser traîner sur une table basse.

De ce point de vue, Coeur Pagra et Variations littéraires se ressemblent comme deux tableaux de Roseman Robinot. Autant le premier donne l'impression d'installer un écran de projection sur une carriole qui progresse du passé au présent, autant le second se plaît d'abord à nous rappeler que l'amitié littéraire n'est pas une stratégie mais une thébaïde, où les écrivains adorent échanger. Il nous rappelle surtout que la vraie amitié littéraire - celle qui tient, pour toujours, dans la phrase de Montaigne sur La Boétie : « Parce que c'était lui ; parce que c'était moi », exige de la discrétion et déteste le copinage. Il suffit de découvrir, à la faveur de la parution de Variations littéraires, Mayouri Kozé Tracé, l'association qui unit, sous la présidence d' Emilie Tocney-Dardé, Arletty Plénet et Arsène Plénet, Prisca Gourdon et Edmond Arnaud, sans oublier Michel Jean-Baptiste, pour mesurer combien leurs textes sont loin du mailing de six opportunistes.

Par moments, on est même tenté de croire que, dans Variations littéraires, Emilie Tocney-Dardé et sa petite bande donnent à lire une hypothèse de scénario pour un policier équatorial et urbain. J'ignore si cela ferait un bon film ; mais il n'y a pas une page, une phrase de ce superbe recueil de nouvelles qui n'appellent aussitôt des images, ne réveillent des plans d'Alain Maline, des visages de Marc Barrat, des paysages de Victor Poto-Joffroy. Sans compter, entre les lignes ou sous la ponctuation, une sorte de gragé de notre plus pure tradition folklorique, comme un chant rural qui monte des maisonnettes, se répand dans les abattis avant de s'installer dans les têtes.

On retrouve effectivement, dans ce livre de 264 pages, tout ce que, décidément, on avait beaucoup apprécié dans Coeur Pagra : le goût des mots justes, le parti pris de la Guyane d'antan, la science des femmes pour lesquelles les animaux, les arbres, les plantes n'ont plus aucun secret. Il convient d'y ajouter l'art du photographe qui saisit, en noir et blanc, ce qui est condamné à disparaître comme l'écrivain fixe, sur le papier, le langage qui se perd.

Variations littéraires, c'est un savant feu d'artifice, nourri de développements érudits, colorés de formules qui pétillent. On s'y sent bien. Et visiblement on n'a pas fini de se régaler. Mayouri Kozé Tracé, ces derniers temps, a effectué une recrue de choix, en la personne de Nicole Parfait, la directrice d'Anne C. Il y a des livres qu'on lit pour faire comme tout le monde ; et ceux au contact desquels on se sent, d'emblée, à la bonne hauteur. C'est précisément l'altitude à laquelle ont l'habitude de nous offrir de respirer les livres édités par Anne C.

Pour sa part, Variations littéraires repose maintenant sur l'étagère où veillent les romans du patrimoine guyanais. Merci, en l'ouvrant à votre tour, de ne pas parler trop fort. Il regorge de confidences qu'il ne livre qu’à voix basse.



René Ladouceur


Février 2009


*Variations littéraires - Mayouri Kàzé Tracé - 264 pages - 19,50 €


Du même auteur, sur blada.com :

Novembre 2008 : Au pays du bonheur tranquille
Juillet 2008 : Mon impromptu de juillet
Mai 2008 : Et si on relisait Elie Stephenson ?

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Septembre 2007 : La Question africaine
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Mars 2006 : Non à la régression
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