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L’Afrique incinérée
par la Conférence de Copenhague

Par Lawoetey-Pierre AJAVON


Pierre Lawoetey AJAVON est Docteur 3ème cycle en Ethnologie, et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, il est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées.
Son dernier ouvrage  « Traite et esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » est paru aux éditions Ménaibuc à Paris en 2005.



Lorsqu’en août 2005, l’ouragan Katrina s’était abattu sur la Louisiane, révélant l’un des points faibles de la première puissance mondiale, devinez sur quel continent les scientifiques du monde entier, notamment américains, sont allés rechercher les causes de ce déchaînement de la nature dont les principales victimes furent en majorité les Noirs pauvres de la Nouvelle-Orléans : en Asie, en Europe, en Océanie ? Non, en Afrique, dans l’archipel du Cap-Vert, à environ 650 km des côtes ouest africaines.

Connu pour ses problèmes de sécheresse endémique et la désertification de ses paysages, cet archipel de 10 îles (dont neuf habitées), pudiquement dénommé pays pauvre très endetté -  PPTE - par l’ONU, est par ailleurs sinistrement célèbre pour être l’épicentre de la plupart des ouragans qui traversent périodiquement l’Atlantique avant de finir leur course sur les côtes de la Caraïbe et les Etats-Unis d’Amérique.

Aussi, si à peu près tout le monde est d’accord pour établir un lien direct entre la montée du niveau des océans et le réchauffement climatique dû majoritairement à l’émission de gaz à effet de serre provenant principalement des pays industrialisés du Nord, paradoxalement, les moins ou non pollueurs- les Africains, dont le continent émet à peine 2% de gaz nocifs, sont incontestablement ceux qui viennent d’être sacrifiés sur l’autel d’un accord à minima à l’issue de la Conférence des Nations Unies sur le climat qui vient de se terminer le 19 décembre dernier dans la capitale danoise.


Les accords de Copenhague :
entre marché de dupes et foire aux hypocrites

« Une conférence pour rien, un fiasco total, la montagne a accouché d’une souris, deux années de préparation pour rien… » Tel est le sentiment unanime de nombre d’observateurs et commentateurs après la Conférence de Copenhague. « C’est le pire accord de l’Histoire » dira même un ministre africain.

Mais, pour qui connaît les intérêts des uns et des autres, des anciens pollueurs que sont les Etats-Unis et des nouveaux pollueurs dont la Chine et l’Inde, cet échec était prévisible.

N’étant liés par aucune contrainte politique ni juridique, les pays industrialisés, mis au banc des accusés par les pays du Sud au rang desquels l’Afrique, pouvaient dans ces conditions se livrer aux petits jeux de préservation de leurs intérêts nationaux, se contentant de belles proclamations d’intention et de vœux pieux. Les Etats-Unis d’abord : en se limitant aux vagues promesses sur la diminution de 2% de CO2 par son pays, le Prix Nobel de la Paix 2009, Barack Obama avait les yeux rivés sur le Congrès américain hostile à toute forme de contrainte écologique. Ensuite, la Chine qui émet à elle seule près de 50% des gaz toxiques tente de combler son retard industriel sur l’Occident, et n’entend surtout pas obéir à ce qu’elle considère comme une injonction de ses rivaux économiques, soucieuse avant tout de sa souveraineté nationale.

En réalité, Américains et Chinois n’étaient pas venus à Copenhague pour les beaux yeux des Européens, ni des Africains. En affaire, point de sentiment, « business is business », et l’accord final de cette Conférence n’engagera in fine que tous les naïfs qui y croient. Ces deux larrons en foire, ennemis de la Guerre Froide d’hier, mais complices en affaires d’aujourd’hui, maîtrisent mieux que quiconque les enjeux économiques du prochain siècle : les Américains ont besoin de liquidités, et seuls les Chinois qui connaissent depuis près d’une décennie une croissance à deux chiffres sont en mesure d’acheter les bons de trésor américains contre l’ouverture du très protectionniste marché du pays de l’Oncle Sam aux produits de la Seconde Puissance Commerciale de la planète.

Dans ces conditions, les velléités de l’Europe, divisée à Copenhague, ne peut que laisser le duopole USA-Chine insensible et atone. Et ce n’est pas le tardif et pathétique activisme du Président Nicolas Sarkozy, auto proclamé pour la circonstance, porte-parole de ses pairs européens, ni le ralliement plutôt sympathique du président brésilien Lula à la cause française, qui feront plier les deux gloutons énergétiques.

Enfin, comme on peut le constater, les seuls vainqueurs de Copenhague, Américains et Chinois, devenus maîtres des enjeux climatiques du monde, ont su tourner aussi habilement qu’hypocritement, cette Conférence Internationale en leur faveur, laissant aux 191 autres pays présents, des miettes en guise de promesses incertaines. La duperie atteignit son paroxysme lorsque toutes les délégations, confiantes, avaient bon espoir d’aboutir à un accord acceptable par tous. Mais, elles ont dû revoir leur optimisme à la baisse, face à la palinodie sino-américaine. En somme, la quasi-totalité des représentants de la planète s’est fait avoir par deux Etats, plus soucieux de leurs intérêts nationaux que du sort de 6 milliards d’individus. Le conciliabule entre la « chimerica », (Chine et Amérique), pour reprendre la célèbre formule du professeur Nail Fergusson, vient d’inaugurer à cet égard, une sorte de tartufferie diplomatique, sur fond de contrat dol et léonin, au seul profit d’une nouvelle création géopolitique : le G-2, aux dépens du G-77 (pays en voie de développement). On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les véritables intentions de Barack Obama, pour qui la sécurité des Etats-Unis et sa croissance économique passent avant les préoccupations environnementales. C’est ce qui ressort nettement d’une de ses phrases sibyllines dont l’ordre d’énumération ne trompe personne : « le réchauffement climatique, estime-t-il, était pour les Etats-Unis un grave problème mettant en péril la sécurité, l’économie et finalement, la planète… »

Quant aux Africains, comme d’habitude, ils devront se consoler avec d’hypothétiques promesses d’aides financières des riches.
 

L’Afrique, dindon de la gigantesque farce climatique

Une fois n’est pas coutume. Les  dirigeants africains qui nous ont habitués aux improvisations, aux impréparations ainsi qu’à la dispersion de leurs voix lors des conférences internationales, s’ils ne sont pas souvent soumis aux pressions de leurs parrains occidentaux, étaient cette fois-ci unanimes pour adopter une position commune et reconnaître à Copenhague, par la voix de leur porte-parole, le président éthiopien Meles Zenawi, que « les pays développés sont responsables de la misère et de la mort des Africains, victimes de l’augmentation intensive des émissions de carbone qui assurent aux pays développés richesses et bien être …Nous sommes ici présents» poursuivra-t-il, « en tant que victimes du passé, mais acteurs du futur et tendons le bras à tous les continents afin qu’ensemble, nous construisions un futur juste et meilleur pour chacun d’entre nous ».

Il faut dire que les Africains avaient auparavant élaboré une plate- forme commune, dès le mois d’octobre au Burkina Faso, au cours du 7ème Forum Mondial sur le développement durable et les changements climatiques, en vue de la Conférence de Copenhague. A Ouagadougou, un message clair a été envoyé aux pays riches : les pays africains ont déjà fait des efforts en élaborant des plans d’adaptation à la variabilité et au changement climatique qui sont budgétisés, mais ils manquent de ressources pour les mettre en œuvre.

Mais, l’Afrique a-t-elle été entendue à Copenhague, quels bénéfices a-t-elle tiré de cette grande messe où tout semble avoir été joué à l’avance, avec du moins, des arrière-pensées et des objectifs non avoués de la part des grandes puissances ?

Promesses de dupes ou miroirs aux alouettes ?, peut-on se demander en épluchant le contenu des accords de Copenhague. Les Africains demandaient la réduction d’au moins 50% des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050, espérant que cet objectif retenu dans les documents de travail la veille de la clôture de la Conférence, trouverait une oreille attentive auprès des pays industrialisés. Mais, c’est compter sans le diktat sino- américain, avec la proposition d’un plafonnement hypothétique du réchauffement climatique à 2%.

Or, tous les experts en climatologie s’accordent pour reconnaître que si l’on s’en tient aux objectifs étasuniens, dans une cinquantaine d’années, ce sera la disparition des états insulaires, notamment africains, l’avancée du désert, la pénurie d’eau, les guerres climatiques suivies de l’hécatombe de millions d’individus. Signes précurseurs de cette apocalypse : la sécheresse qui sévit dans la Corne de l’Afrique (Ethiopie, Somalie, Erythrée et le Sud-Soudan) depuis deux ans, ainsi que les séries d’inondations dont ont été victimes récemment la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest.

Pire encore ! les pays industrialisés, en donnant le change, ont habilement renoncé à leurs engagements pourtant pris, lors des accords de Kyoto que n’ont pas ratifié les Etats-Unis en 1990, pour une baisse globale de 8% à 12% des émissions de gaz.

Une autre mesure perverse et très controversée de la Conférence de Copenhague est l’instauration des « droits de douane-carbone » sur le CO2. De quoi s’agit-il ? En clair, ce projet, soutenu par le Président Nicolas Sarkozy, prévoit de taxer les importations provenant des pays peu respectueux des réglementations sur les émissions de CO2. Or ce que craignent justement les Africains et plusieurs spécialistes, c’est la délocalisation d’entreprises polluantes vers des pays permissifs et peu regardants en matière d’émission de gaz nocifs. Au final, cela reviendrait à produire l’effet inverse de la lutte contre le réchauffement climatique et encouragerait une pollution à grande échelle des pays pauvres.

D’autre part, le mécanisme consistant à affranchir de ses promesses de réduction de CO2 un pays riche qui investirait dans une technologie propre dans un pays pauvre est un non sens, au pire, une supercherie. Quels serait les moyens de vérification ou de contrôle de ses réalisations « propres » sur le terrain ?

Que dire de l’engagement des pays riches à verser 10 milliards de dollars par an, jusqu’en 2012 aux pays pauvres, afin de lutter contre les effets du changement climatique, les sécheresses et les inondations ?  Avec la promesse, à long terme, d’augmenter cette aide à 100 milliards de dollars d’ici l’an 2020. Or tout observateur averti de la question africaine n’ignore pas que les canaux de transfert des « aides » sont peu fiables et que les sommes destinées aux populations nécessiteuses atterrissent le plus souvent sur les comptes numérotés suisses des dirigeants prédateurs du continent noir. Et, il n’est pas rare que l’argent retourne dans les caisses de leurs parrains européens, américains, belges et autres.

Bref, officiellement, ces aides « humanitaires » octroyées à grands renforts de publicités emprunteront, selon toute vraisemblance, des circuits officieux ou politico-mafieux dont la Françafrique a le secret, selon les propres aveux de l’ancien Président Jacques Chirac dans une interview: « une partie de l’argent français vient de l’Afrique ». (support audio-visuel sur www.wat.tv du 5 décembre 2009).

On ne reviendra plus sur l’échec retentissant de la Conférence Internationale de Copenhague sur le réchauffement climatique. Au-delà de l’hypocrisie et la farce des nantis, ainsi que de leur souverain mépris à l’égard de ceux qu’ils ont coutume de désigner « les plus pauvres d’entre les pauvres de la planète », ce sommet a conforté un constat effarant : la permanence de deux mondes bien distincts, celui du vivre «  bien » et celui du vivre «  mieux en consommant plus », selon la formule du président bolivien, Evo Moralès. Autrement dit, deux mondes bien différents, celui de la vie et celui de la mort.

Au risque d’être redondant- je ne le répéterai jamais assez, n’en déplaise à tous ses thuriféraires- l’arrivée de Barack Obama  aux commandes de l’Etat le plus puissant au monde, hormis le style de gouvernance, ne changera pas fondamentalement la nature intrinsèque des Etats-Unis, fondée sur la conservation égoïste de leurs intérêts vitaux. Malheureusement, Copenhague vient d’apporter la preuve évidente qu’Obama n’était pas venu dans la capitale danoise pour agir dans l’intérêt de la sauvegarde de la planète. On est loin de celui qui, au mois de juillet dernier, donnait des leçons de protection de l’environnement à ses pairs africains devant les parlementaires ghanéens à Accra (Ghana). Un vieux précepte africain ne dit-il pas que « ce que le fou finit par faire, le sage le fait depuis longtemps » ?


Lawoetey-Pierre AJAVON
lawoetey@voila.fr


Décembre 2009

 


Du même auteur, sur blada.com

Août 2009 : Les Quatre plaies de l’Afrique selon Barack Obama
Juin 2009 : Les propos du pape Benoît XVI en Afrique sur l'utilisation du préservatif
Janvier 2009 : La Victoire de Barack Obama et la problématique identitaire

Avril 2008 : La Dette de l'Afrique envers Aimé Césaire
Septembre 2007 : La Question africaine


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