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Lettre ouverte à Monsieur Jojo de Cayenne et autres surpris puis offusqués
par Richard Koukougnon DJIROPO

Richard Koukougnon DJIROPO  est professeur de Lettres Modernes, docteur ès Lettres et chercheur au CELFA (Centre d’étude de Linguistique et des Littératures Francophones et Africaines ; Université Michel de Montaigne-Bordeaux3), membre de l’Association Jaguar de Guyane et du Cercle Félix Eboué.

René Maran,
un illustre Guyanais méconnu des siens

Dans France-Guyane du jeudi 2 septembre 2010, j’ai lu, avec intérêt, la colère de monsieur Jojo de Cayenne, lecteur de ce quotidien qui s’offusquait de voir la grande photo de René Maran sur la façade de la bibliothèque Franconie.

Sa réaction est légitime mais elle est, à la fois, révélatrice de son ignorance.

Il n’empêche que René Maran Herménégile est un écrivain français originaire de la Guyane dont le père est Maran Herménégile Léon (originaire de Roura et de Cayenne), fonctionnaire colonial, et de Lagrandeur Corina, originaire de Montsinery.

René Maran est né le 5 novembre 1887 à 10h et demi à la maison, selon la déclaration de naissance faite par le père. Il mourut à Paris, le 9 mai 1960 à la Salpêtrière, d’une double attaque cardiaque, selon une information que m’a donnée Bernard Michel, son petit-fils.

Cette filiation sus-notée ancre les racines de René Maran en Guyane.

Outre cette dimension première, notons que ce Guyanais d’origine a été le premier Prix Goncourt noir en 1921, avec son roman « Batouala » qui lui valut de démissionner de l’administration coloniale pour défendre la cause de l’homme noir comme il l’avait débuté dans ce roman par un récit qui mettait en évidence les travers de la colonisation française en Afrique noire, en en donnant une dimension de témoignage personnel de premier plan en premier lieu, puis sociologique et anthropologique et, enfin, historique.

Le rôle de René Maran fut central dans le combat des noirs en France.

Il fut le premier à porter la question nègre sur la place publique en créant le journal Les Continents en 1926, avec son ami Kojo Touvalou Houénou. Ils avaient, au préalable, créé la Ligue Universelle de Défense de la Race Nègre qui sera l’aïeule de toutes les autres organisations de noires en France.

A la disparition de ce journal à cause d’un article polémiste de René Maran qui accusait Blaise Diagne, premier député noir africain et sénégalais, de percevoir des royalties de capitation sur chaque tirailleur sénégalais enrôlé pour la Guerre de 14-18.

Cette mort du journal révoltera des noirs dont Lamine Senghor et Garan Tiémoko Kouyaté qui fonderont le « Comité de défense de la Race Nègre » avec pour journal, LA RACE NÈGRE qui sera suivi du CRI DES NÈGRES, AFRICA, LE COLONISÉ, LA REVUE DU MONDE NOIR, LA DÉPÊCHE AFRICAINE, L’ÉTUDIANT NOIR, LÉGITIME DÉFENSE, L’ÉTUDIANT DE LA FRANCE D'OUTRE MER.

Voici une explosion intellectuelle noire en France qui aboutira à la NEGRITUDE qui doit son apparition à la levée de la muselière par le culot, l’audace, de René Maran.

En conséquence, monsieur Jojo de Cayenne, l’association Jaguar, la bibliothèque Franconie et le Conseil général et la mairie de Cayenne n’ont commis aucune gaffe en posant une grande photo de René Maran sur la façade de ce centre de culture, mais ils ont rendu un hommage mérité à un enfant du pays ; certes méconnu des siens mais de racines guyanaises.

Conscient de son appartenance à ce pays, il se voulait un acteur de la vie guyanaise. Un acteur lointain mais sa parole était entendue au travers de l’écriture.

En effet, René Maran était le correspondant permanent à Paris de La guêpe, le journal des amis de René Jadfard, le leader du Mouvement de la renaissance guyanaise. Ce même leader qui allait battre, en 1946, Gaston Monnerville aux législatives.
Le plus célèbre article de Maran dans La Guêpe est  « Précisions utiles et vérités oubliées », qu'il publie en 1945. Dans cette tribune, à dire vrai un véritable pamphlet, René Maran reproche à Monnerville d'avoir tiré la couverture à lui dans la fameuse affaire des insurgés de Cayenne.

Le rapport de René Maran avec la Guyane fut plus une relation de cœur parce qu’il n’avait pas d’attaches physiques dans ce pays ; et le père, en fonction en Afrique Equatoriale Française ne conduisit jamais son fils sur sa terre d’origine. Cet enfant grandira quasiment seul à Bordeaux loin des siens et personne ne lui proposera de venir en Guyane alors qu’il passait ses vacances à l‘internat ou chez des amis de la région bordelaise.

Cette solitude sera une douleur intériorisée. Il en fera l’objet de plusieurs poèmes.

C’est à juste titre qu’il écrira à son ami Charles Barrailay, ce Bordelais avec qui il correspondit de 1913 à 1958 :

« Tu vantes ma sagesse. Tu me dis que certains passages de mes lettres te font réfléchir. Ma sagesse n’est pas grande. Je suis un réfléchi. Depuis tout jeune, trop de solitude m’a porté à la réflexion. »

Cependant, monsieur Jojo, votre révolte, ici clamée : « c’est incroyable comme on aime honorer les inconnus de notre pays, qui donc a eu cette idée ? » est, néanmoins, une invite à faire connaître et reconnaître cet homme, un des vôtres, plus connu aux Etats-Unis, en Afrique qu’en France et encore moins en Guyane, aujourd’hui.

Voici quelques mots vite écrits pour justifier la pose de cette photo et vous faire connaître votre frère dont vous ignorez l’action, visiblement.

Permettez à l’Africain que je suis, et qui a passé des années à étudier les littératures noires, de vous signifier mon admiration, après Léopold Senghor, en 1935, pour un homme de culture et de lettres dont le courage et les convictions ont rendu l’humanisation du nègre possible au XXe siècle, après l’esclavage et la colonisation, induisant l’infériorisation naturelle du Nègre, prétendait-on.

En conclusion, René Maran, éveilleur des consciences noires, mérite l’hommage qui lui est rendu et l’intellectualité guyanaise le reconnait. Ne soyez donc pas surpris qu’une action plus importante advienne dans un futur proche*.

Cordialement et avec tout mon respect,

DJIROPO Koukougnon Richard


** Le Centre international de recherches sur les esclavages organise le 9 décembre 2010 un colloque international en hommage à René Maran pour le cinquantième anniversaire de sa mort.


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