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Gardons la tête froide !
par René Ladouceur

Pacifique et posé, ce penseur de la société guyanaise est né à Sinnamary, le 6 juin 1959. Après une enfance à Cayenne, il rejoint la région parisienne pour y étudier la philosophie, intègre une école de journalisme puis d'attaché de presse. Il fait ses premières armes à la RATP avant d'être embauché au Nouvel Observateur. Rentré au pays, il assure pendant trois ans la rédaction en chef de La Semaine Guyanaise puis de MenMoMag. Il enseigne actuellement la communication au CNAM et à l'université. Rédacteur en chef du journal des quartiers de Cayenne « Bouge Ta Ville », il est aussi le collaborateur de la vice-présidence du Conseil général.

Je ne suis pas forcément un fan des commémorations. Je préfère voir le passé revenir de lui-même, sans qu’un rite le convoque.
Force est d'admettre que, cette année, la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guyane prend une allure toute particulière.
 

On s'en souvient, à l'issue des premiers résultats de la présidentielle, dimanche 6 mai, Nicolas Sarkozy a immédiatement parlé de repentance. Assurant qu'il fallait conserver sa dignité et ne plus avoir honte d'être Français.

Peut-être le mot apaisement eût-il été plus approprié, mais ce n’était pas la visée d’un tel discours, tourné vers soi avant de l’être vers l’autre, à l'extrême opposé, en somme, du discours mémoriel inaugural, l'an dernier, de Jacques Chirac.

En effet, à l'initiative de l'ancien Chef de l'Etat, chaque 10 mai, la France hexagonale est désormais priée de se souvenir qu'elle fut une nation esclavagiste, fondée sur la déportation d'hommes et de femmes sans droits, réduits à l'état d'objets ou de bêtes de somme et seulement considérés pour leur force de travail. Les faits sont avérés, qui pourrait trouver à redire ?

La décision, pourtant, n'a pas échappé au soupçon d'opportunisme. Quand la réalité résiste à la prise du politique, quand le communautarisme vient piétiner les plates-bandes d'une République en mal d'intégration, la tentation est grande de parer au plus pressé et d'appeler à la rescousse une mémoire bien assoupie depuis des lustres.

Cependant, s'il s'agit de créer un symbole, de signifier, comme l'a dit un jour Jacques Chirac, que "nous pouvons tout nous dire sur notre histoire ", la décision prend un autre sens.

Elle s'inscrit dans un processus à long terme, qui doit amener la Métropole à ne plus fuir son passé et à ne pas s’étonner qu'il ne soit pas conforme aux canons moraux qui sont désormais les siens.

Oui, il est urgent de se rappeler que l’humanité de l’homme est une chose infiniment fragile, qu’il suffit de certaines circonstances pour la perdre et que l’on doit être en permanence en état de vigilance, car c’est finalement l’objectif le plus important du travail de mémoire.

Bien sûr, l'esclavage moderne existe. Il faut s'en occuper, sans le confondre pour autant avec l'esclavage transatlantique qui, lui, a érigé sa morale sur l'infériorité d'une race.

Le Guyanais René Maran, dont la biographie vient de paraître*, a lui-même beaucoup écrit sur cette question. Maran, soit dit en passant, a commencé à voir la condition absurde de l’homme dans l’opposition dialectique entre le bonheur et la mort.

En reparcourant le chemin de Sisyphe, il a découvert, avec le temps, que la traite des Noirs n’était pas le mal absolu ni la colonisation la seule malédiction.

Cette dernière phrase risque d’indigner tous ceux qui se considèrent comme les gardiens de l’unicité de la traite négrière.

C’est se méprendre. La pluralité des crimes contre l’humanité n’atteint pas la spécificité de l’un d’entre eux.

Mais c’est un fait que René Maran avait pris conscience qu’après avoir lutté contre une doctrine qui avait chosifié une race, les hommes s’étaient donné les moyens, avec Hiroshima, d’éradiquer leur espèce et, avec la Shoah, d’exterminer un peuple.

La preuve que, si loin que les anthropologues et les ethnologues puissent aller dans les études consacrées à la différence et même à l'incompatibilité, sans une civilisation de l'universel, il devient impossible de définir ce que c'est que l'homme, en quoi consiste le principe d'humanité.
C'est bien pour cela qu'une société gagne toujours à regarder sur elle-même, dans le sens d’une autocritique.

En Guyane, la coupure entre les intellectuels et les leaders d'opinion est de ce point de vue assez inquiétante.

Il y a une incapacité, de la part des seconds, à travailler avec les premiers et à tirer profit de leurs analyses, au-delà des slogans.

Et pour cause. Les deux mondes évoluent de manière parallèle, intellectuellement et sociologiquement.

C'est un facteur de crise du projet, de la réflexion et de l'engagement, qui favorise des comportements à courte vue.

Sur la question de l'esclavage, on mesure déjà les effets de ce lourd dysfonctionnement. Entre histoire et mémoire, la Guyane ne sait toujours pas où donner de la tête.

Comme si, entre Chateaubriand, qui célèbre l’historien « chargé de la vengeance des peuples », et Renan, qui affirme que « l’oubli, je dirai même l’erreur historique, est un facteur essentiel de la création d’une nation », elle s'obstinait à ne pas choisir.

Il est temps de s’en alarmer. L’histoire, en vérité, est bien plus équitable que la mémoire : la première implique une comparaison, une mise à distance quand la seconde se veut incomparable, intouchable, semblable à une hagiographie, proche même d'une icône.

Le problème, c’est qu’à force d’avoir été privée de son histoire, la Guyane ne peut s'empêcher d'accorder une place grandissante à sa mémoire, quitte à oublier que parallèlement elle doit avancer.

Nous sommes là au coeur de la principale difficulté à laquelle est actuellement confronté le pays de René Maran : comment conjuguer, sans faillir, le passé et le futur ; comment rendre hommage aux esclaves qui ont arraché l'émancipation sans négliger la formation des jeunes qui doivent favoriser le développement.

On ne vit pas sans histoire. On ne vit pas davantage sans espoir.

Je sais bien que l'art, selon Gide, naît de contraintes, vit de l'interdit et meurt de liberté. On peut observer que les civilisations se jugent sur la force de leurs traditions, et les créateurs, sur leur capacité à les transgresser. Mais en Guyane, les icônes ne génèrent pas d'iconoclastes.

René Ladouceur
rene.ladouceur@wanadoo.fr

7 juin 2007

*Charles Onana, Le premier Goncourt noir, 193 pages, Editions Duboiris, ISBN 978-2-916872-01-8

De René Ladouceur, sur blada.com :
Janvier 2007 : Entre histoire et mémoire
Octobre 2006 : Notre grand voisin

Juillet 2006 : Le Foot-patriotisme
Juillet 2006 : Sous l'agression, la dignité
Mai 2006 : Adieu l'ami (un hommage à Jerry René-Corail)
Mars 2006 : Lettre ouverte à René Maran
Mars 2006 : Non à la régression
Janvier 2006 : Vive le débat

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