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Par Patrick LINGIBE, Avocat au Barreau de la Guyane
Site internet : http://www.jurisguyane.com/
GENESE DE L’ACCES AU DROIT EN GUYANE
(Publié dans l’ouvrage "L’accès au Droit en Guyane", Ibis Rouge Editions)

Traiter de la genèse de l’accès au droit en Guyane, c’est une gageure dont l’importance n’échappera à personne.

C’est un thème d’autant plus complexe qu’il n’a jamais été abordé auparavant.

Cette genèse conduit nécessairement à tenter d’appréhender, à travers un parcours juridico-historique, le Phénomène Juridique à travers la perception qui en est résulté pour les uns et les autres.

Cette genèse génère d’emblée deux questions.

Qu’est ce que le Droit ? A quel Droit s’agit-il d’accéder ?

A la première question, le Droit peut être défini comme "l’ensemble des règles régissant la vie en société et sanctionnées par la puissance publique."(1)

Toutefois, un système de normes juridiques ne peut appuyer sa légitimé uniquement sur la sanction qui s’applique à tout manquement.

En effet, la valeur accordée à la norme juridique édictée au sein d’une société, si petite soit elle, de même que son autorité implique nécessairement, même tacitement, une certaine "adhésion du plus grand nombre à la norme édictée et du sentiment collectif de sa nécessité."(2)

Un système juridique ne peut fonctionner normalement et perdurer s’il ne rencontre pas une certaine adhésion aux règles qu’il incarne.

Les bouleversements qui se sont produits au cours de l’Histoire nous le démontrent, même dans ses exemples les plus récents.

S’agissant du Droit à accéder, il concerne les normes juridiques élaborées et appliquées par les institutions françaises.

Il s’agit de cet ensemble de règles qui s’est considérablement enrichi à travers les siècles pour finalement devenir la référence normative sur cette portion du territoire sud-américain.

L’histoire de la genèse de l’accès au droit en Guyane n’a pas échappé et n’échappe pas à cette nécessaire condition d’une certaine adhésion à la norme juridique introduite dans cette région par la France.

C’est qu’en effet, l’histoire du cheminement du droit, parfois chaotique, parfois contradictoire, en Guyane épouse nécessairement les contours historiques qui ont marqué ce département.
Parler de la genèse de l’accès au droit en Guyane revient à faire l’itinéraire de ce Droit appliqué dès l’arrivée des premiers colons français jusqu’à la mise en place d’un système juridique de référence applicable sur tout le territoire départemental et à toutes les composantes françaises de la société guyanaise.

Qu’en a-t-il été exactement ? Qu’en est-il-exactement ?

Introduire la notion d’accès au droit dans cet itinéraire est difficile, tant les premiers contacts des populations amérindiennes et ensuite noires avec ce Droit (pour elles venu d’ailleurs) ont été synonymes d’asservissement et objet de contestation, de négation de Liberté et d’Humanité.

L’accès au droit ne peut donc se comprendre qu’en tenant compte du contexte historique dans lequel ces premiers balbutiements ont pu se révéler.

Une certitude s’impose néanmoins : l’accès au droit renvoie, par effet induit, à deux notions :

Le première concerne la connaissance et la publicité de la norme juridique qui doit s’appliquer. Un accès correct au droit conditionne que cette règle soit portée à la connaissance des personnes qu’elle tend à régir.

La deuxième se situe en aval et a trait à la réceptivité de la règle de droit édictée et de sa compréhension. L’accès au droit suppose que les grands principes fondant les normes issues du système juridique soient assimilés par les personnes intégrées dans ledit système juridique.

Ces deux notions devront toujours être présentes à l’esprit lors de cet exposé et expliqueront certaines fractures entre ce Droit et la société guyanaise.

L’approche de cette genèse de l’accès au droit en Guyane se fera donc dans un premier temps en abordant l’accès à un Droit perçu et vécu comme un outil de contrainte, objet de contestation (I) (1604-1848).

Dans un deuxième temps, j’aborderai cet accès au droit perçu de manière sceptique pour aller jusqu’à son assimilation imparfaite (II) (1848-1969).

I - UN ACCèS AU DROIT ANNIHILé : LE DROIT, VéCU COMME OUTIL DE CONTRAINTE ET OBJET DE CONTESTATION.

A°)- Le droit vécu comme un outil de contrainte.

1°)- La remise en cause du système juridique amérindien :
le règlement du 22 Février 1722.


A la veille de la colonisation française, la Guyane est peuplée d’amérindiens, estimés à plus de 30.000, issus de différentes tribus, disséminés sur le territoire guyanais.
Les populations amérindiennes qui y vivent ont un système de valeurs, de normes qui leur sont propres.

Cette civilisation intègre dans ses valeurs un système juridique qui trouve son fondement exclusivement dans la coutume (3).

Il convient de noter que "la coutume correspond à une conduite, juridiquement signifiante, dont la nécessité et la portée sont spontanément reconnues par les sujets de droit, sans le secours d’un texte obligatoire."(4)

En l’absence d’éléments écrits, la norme coutumière amérindienne est la norme du Droit par excellence.

Cette norme est d’autant plus forte qu’elle est l’expression d’une adhésion consensuelle à un système juridique.

Sur le plan organisationnel, l’approche de la norme juridique coutumière se fait à travers une structure de gestion de proximité.

Il n’y a pas un regroupement inter-ethnique sous la forme d’un Etat amérindien par exemple épousant le type fédéral.

C’est "un système politique fondé sur la chefferie."(5)

Celle-ci "est en général héréditaire et la succession obéit à des règles variables selon les systèmes de parenté."(6)

La sphère juridique s’appréhende donc au niveau du village "qui est, dans le système politique amérindien des Guyanes, le principal niveau de cohésion."(7)

La structure juridique villageoise amérindienne est organisée autour d’un organe : le Chef.
Celui-ci détient entre ses mains des pouvoirs normatif et judiciaire.
C’est donc un système juridique où il existe une confusion des pouvoirs.

Organe régulateur du système juridique amérindien, c’est donc le Chef (du village, de la tribu) qui a en charge à ce titre "l’administration des affaires du village (règlement des conflits individuels ou collectifs, rapport avec les autres villages ou les groupes ethniques voisins, fixation ou abandon des lieux de vie)".(8)

Il convient de préciser que cette structure villageoise n’est pas figée géographiquement mais se déplace, conformément à la tradition nomade ou semi-nomade amérindienne.
Avant l’arrivée des colons, la civilisation amérindienne possède un système juridique de proximité où règnent des normes coutumières, lesquelles bénéficient à ce titre d’une légitimité totale marquée par l’adhésion de ses membres auxdites normes.

La colonisation provoquera un choc avec la Norme Juridique Française, lequel modifiera très sensiblement le système juridique amérindien ; cela bien que "dès les premiers établissements français en Guyane, il fut tacitement admis que les Indiens étaient des peuples libres, ayant le droit de vivre à leur guise et de se déplacer sans entraves."(9)

Dès 1706, les instructions royales fixent la politique française de colonisation des amérindiens : "Il faut leur laisser libre accès dans la colonie, les protéger contre les habitants qui voudront leur faire quelque injustice et les maltraiteront ...".(10)

Toutefois, cette politique ne doit masquer le malaise qui existe au niveau des peuples amérindiens.
Ceux-ci sont victimes d’exactions de la part de certains colons.
De plus, la colonie a besoin de main-d’oeuvre qu’elle trouve chez les amérindiens.
Or, cette main-d’oeuvre se révèle réfractaire à toute forme de sujétion.

Dans le même temps, le bilan humain est catastrophique : les amérindiens sont décimés notamment par les maladies contractés au contact des colons.

Sur le plan juridique, le modèle normatif amérindien, caractérisé par une relative simplicité et souplesse de la Norme, est mis à mal.

La liberté apparente dont les amérindiens disposent s’est accompagnée d’une application de normes juridiques françaises en totale contradiction avec le modèle amérindien.

Ainsi, un règlement est établi le 22 Février 1722 par le Gouverneur d’ORVILLIERS(11), règlement qui, à travers neuf articles, fixe le statut juridique des amérindiens de Guyane.

Ce texte est d’importance par sa valeur juridique normative.

En effet, ce règlement comporte en marge les observations royales sur les articles proposées par d’ORVILLIERS.

Le système mis en place concrétise des pratiques jusqu’alors appliquées aux amérindiens.

Ainsi, l’article 1er précise que tous les amérindiens de Guyane sont sujets du roi et subordonnés à ce titre au gouverneur de Cayenne.

Deux autres articles du règlement intéressent notre thème.

D’une part, l’article 2, lequel précise que tout indien qui sera en conflit avec un autre devra se plaindre au gouverneur qui exercera la justice.

D’autre part, l’article 6 prescrit aux indiens baptisés et non baptisés de se grouper en village sous l’autorité de leur capitaine, lequel sera préalablement agréé par le gouverneur.

Le règlement de 1722 impose donc un système juridique qui bouleverse le système juridique amérindien , notamment sur deux points.

En premier lieu, le droit de proximité exercé directement par le Chef au sein de chaque village est transféré ex abrupto et à titre exclusif au gouverneur qui devient l’autorité judiciaire par excellence aux lieu et place dudit Chef.

En deuxième lieu, les amérindiens se trouvent soumis à l’autorité d’une nouvelle entité juridique dénommée capitaine ; ces derniers, pris parmi les chefs coutumiers, sont préalablement agréés par le gouverneur et sont ses délégataires (le gouverneur pouvait d’ailleurs les démettre).

Ainsi, à la structure à organe unique du Chef, est substitué un modèle à trois branches :

- le Gouverneur, organe suprême, ayant entre ses mains un pouvoir normatif et judiciaire ;
- les capitaines et lieutenants, organes intermédiaires et de proximité, délégataires du gouverneur, assurant la gestion et le bon ordre dans la mission ;
- enfin, les religieux missionnaires s’occupant de l’évangélisation et de l’inculcation de la norme chrétienne.

D’ailleurs, tout un cérémonial accompagnait cette nouvelle hiérarchie.

Ainsi,

Déjà, "En 1722, le ministre fit envoi de 12 cannes destinées à servir d’emblèmes aux principaux chefs."(12)

"En 1764, on leur remit à chacun d’eux comme emblème une médaille d’argent à l’effigie du roi "(13)

De plus, l’institution de missions pilotées par des religieux répond à la nécessité pour le pouvoir colonial de baser les amérindiens dans un espace défini.

La fixité des amérindiens constitue une atteinte grave à leur tradition nomade ou semi-nomade et à l’idée de Liberté d’aller et venir qui la caractérise.

Les amérindiens ne peuvent que rejeter un système de normes totalement étranger à leur mode de vie.

Ce choc destructeur du modèle juridique amérindien et la quasi disparition des amérindiens du territoire guyanais ne pourront que constituer un handicap majeur à l’appréhension du Droit que l’on tente de leur imposer.

La vacuité de l’espace guyanais va permettre aux amérindiens de se marginaliser de ce système juridique que le colonisateur leur impose.

C’est en effet, "en premier lieu l’impossibilité où se sont trouvés les Français d’occuper la totalité de l’espace guyanais et donc les possibilités de repli des Amérindiens, qui ont permis à ces derniers d’échapper à l’extermination par la guerre, à la réduction en esclavage ou au refoulement dans des réserves, comme cela a été réalisé dans les Amériques espagnole, portugaise et anglaise".(14)

De plus, il y a des circonstances propres à la colonie qui expriment la mise à l’écart des amérindiens : en premier lieu, "le nombre d’esclaves amérindiens ne fut jamais élevé"(15) et en second lieu, "parce que trop limité, l’esclavage des Amérindiens ne pouvait répondre à la demande de travailleurs des habitations".

Il n’y a dans cette organisation aucune mise en place d’une politique d’accès au droit pour assurer aux indiens une compréhension du système juridique qu’on leur impose.

L’absence de bras suffisants pour les besoins de la colonie va amener le colonisateur français à rechercher une main-d’oeuvre à l’extérieur du continent, dans le continent de l’Afrique noire.

2°)- Le Code noir et le statut juridique de l’esclave.

Lorsque les français introduisent l’esclavage des noirs en Guyane, celui-ci a été adopté depuis plus d’un siècle sur le continent par les espagnols et les portugais.

Les premiers esclaves noirs arrivent aux environ des années 1680.
Au départ, le système esclavagiste est organisé par les autorités locales.
Une assise juridique à ce système apparaît à certains indispensable.

Elaboré par Colbert, un édit de Louis XIV de Mars 1685 "Touchant la Discipline des Esclaves Nègres aux Iles de l’Amérique Française" donne un fondement juridique au système esclavagiste français.

Ce texte était "destiné originairement aux Antilles".(16)

Il ne sera appliqué à la Guyane qu’à compter du 5 Mai 1704.(17)

La lecture de ce texte fait apparaître de la part de son rédacteur, un double objectif :

- en premier lieu, affirmer avec force la présence de l’église dans les colonies et au sein des foyers d’esclaves afin de développer les valeurs chrétiennes ;

- en deuxième lieu, donner une base légale au système esclavagiste français, lequel présentait des organisations multiformes créées de toutes pièces.

Cet édit connu dans l’histoire sous le nom de Code noir est organisé autour de 60 articles.

Seul l’aspect juridique stricto sensu de ce texte nous intéresse ici, les dispositions intéressant l’aspect religieux étant écartées.

En premier lieu, il convient de noter une contradiction flagrante entre l’article 44 et le reste du texte.
En effet, l’article 44 dispose : "Déclarons les esclaves être meubles ; et comme tels entrer dans la communauté .../..."

Le statut juridique est désormais fixé : étant par défaut un objet mobilier, à l’instar des autres meubles, l’esclave noir ne peut être un acteur juridique au sein de la colonie.

Cette dénégation de toute personnalité juridique est contredite notamment par l’article 26 du Code, lequel dispose en écho aux obligations mises à la charge du maître (article 6 : interdiction de faire travailler les esclaves les dimanches et les jours de fête de la religion catholique ; articles 22 et 25 obligation de fournir de la nourriture et des vêtements ; article 27 : obligation de subvenir aux besoins des esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement) :

"Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, .../..., pourront en donner avis à notre Procureur, mettre leurs mémoire entre ses mains, sur lesquels et même d’office, si les avis lui viennent d’ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais ; .../..."

Plus loin, l’article 44 enjoint aux officiers de "poursuivre criminellement les maîtres ou commandeurs qui auront tué un esclave sous leur puissance ou sous leur direction, et de punir le maître selon l’atrocité des circonstances ; .../...".

Peut-on parler d’une disposition organisant un accès au droit pour l’esclave ?

La réponse est négative pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il s’agit d’une disposition difficilement applicable dans le contexte de l’époque.

Il aurait fallu que les quelques dispositions du Code préservant le droit à l’esclave de poursuivre son maître pour mauvais traitement soient portées à la connaissance desdits esclaves.

En deuxième lieu, le Code noir est un texte très répressif et sa philosophie se fonde sur l’inégalité raciale blanc/noir pour asseoir le pouvoir colonial. Ainsi, l’article 38 infligeait une amputation des oreilles à l’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois.

En troisième lieu, le Code noir n’a jamais été respecté par les colons en Guyane, lesquels refusaient la justice du gouverneur.

Enfin en quatrième lieu, le pouvoir colonial sera opposé à toute forme de poursuites à l’encontre d’un maître pour mauvais traitement à son esclave.(18)

Ainsi, dans un mémoire aux administrateurs de la Guyane du 8 Janvier 1776, le roi précise :

".../... La plupart des maîtres sont des tyrans qui pèsent en quelque sorte la vie de leurs esclaves avec un travail forcé. Cet excès trop commun ne peut cependant être corrigé par la loi, parce qu’il reste souvent inconnu, et qu’il est presque toujours impossible d’en acquérir la preuve. Il serait d’ailleurs dangereux de donner aux nègres le spectacle d’un maître puni pour des violences commises contre son esclave [...]".(19)

Cette distorsion qui existe entre le Droit inscrit dans le Code noir en faveur de l’esclave et son annihilation dans la réalité se trouve confirmé dans une autre disposition du Code noir, l’article 59, lequel précise :

"Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres. Voulons que le mérite d’une liberté acquise, produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets".

La réalité de cet article est tout autre comme en témoigne un mémoire du roi du 9 Septembre 1776 adressé aux administrateurs de la Guyane dans lequel il est écrit :

"Les gens de couleur sont libres ou esclaves ; les libres sont des affranchis ou des descendants d’affranchis : à quelque distance qu’ils soient de leur origine, ils conservent toujours la tâche de l’esclavage, et sont déclarés incapable de toutes les fonctions publiques ; les gentilshommes mêmes qui descendent à quelque degré que ce soit d’une femme de couleur ne peuvent jouir des prérogatives de la noblesse. Cette loi est dure, mais sage et nécessaire : dans un pays où il y a quinze esclaves contre un blanc, on ne saurait mettre trop de distance entre les deux espèces, on ne saurait imprimer aux nègres trop de respect pour ceux auxquels ils sont asservis. Cette distinction, rigoureusement observée même après la liberté, est le principal lien de subordination de l’esclave, par l’opinion qui en résulte que sa couleur est vouée à la servitude, et que rien ne peut le rendre égal à son maître."(20)

En clair, les dispositions dites humanisantes du Code noir se révéleront un leurre sur le plan juridique pour l’esclave relégué au rang de simple meuble.

En effet, la société esclavagiste est bipartite :

"Le seul critère de référence est la couleur : toute personne vraiment blanche est humaine et participe de plein droit à la société."(21)

Par contre, "Toute personne non blanche est entachée ou soupçonnée d’être entachée de nègre, ou tout simplement nègre, est non humaine et ne peut participer à la société."(22)

Dans cette bipartition de la société, il ne peut avoir dès lors un accès au droit réel de l’esclave face à un Droit dont les nombreuses dispositions répressives sont appliquées avec zèle alors que les quelques dispositions protectrices distribuées avec parcimonie restent du domaine de l’inaccessible tant dans son appréhension que dans son application.

Dès lors, l’esclave noir ne pourra contester les pratiques de ce système inégalitaire, juridiquement organisé par le Code noir, qu’en sortant du système juridique, lequel l’exclut comme sujet de droits.

B°)- Le droit, objet de contestation.

Les amérindiens rejetteront le système normatif que tente d’imposer le colonisateur français.
Un grand nombre d’esclaves noirs contesteront le système esclavagiste en faisant " marron " et donneront naissance à une forme de résistance : le marronnage.

"En Guyane, le marronage fut en règle générale la plus radicale de négation et de réaction au système esclavagiste [...]".(23)

Il va constituer donc la contestation la plus grave du système normatif imposé par le Code noir.
"La première révolte d’envergure eut lieu en Avril 1700 sur l’habitation de Gennes où cinquante esclaves tuèrent des Blancs et détruisirent l’habitation avant de se réfugier sur la haute Comté."(24)

De même, "En 1714, il y avait une bande de marron depuis six ans dans la grande terre, et parmi eux beaucoup d’esclaves indiens."(25)

On distinguait traditionnellement deux formes de marronage.

D’une part, le petit marronnage : il concernait les esclaves absents pour une période au plus égale à un mois.

D’autre part, le grand marronnage s’appliquait à tous les esclaves marrons au-delà de ce délai d’un mois.

"Les révoltes d’esclaves en Guyane n’eurent pas la dimension de celles du Surinam où, à la fin du XVIIIème siècle, les Hollandais durent mener une véritable guerre contre les groupes armés des Saramaca, des Djuka ou des Boni."(26)

Toutefois, même si les révoltes des marrons n’atteignent pas la même intensité que dans la colonie hollandaise, elles minent le système de production de la société esclavagiste.

Or, cette société est marquée par une insuffisance de main-d’oeuvre.

Le marronnage est donc une hémorragie qu’il convient d’arrêter au risque de voir s’effondrer le système esclavagiste guyanais.

Les expéditions militaires organisées pour réprimer cet état de fait n’ont pas réussi à enrayer ce phénomène.

La faiblesse numérique des colons ajoute à ce traumatisme causé par le contre-système du marronnage.

Ces circonstances vont entraîner un assouplissement dans la politique de sanctions appliquée aux marrons.

"Ainsi le Conseil Supérieur de Cayenne avait, en 1720, adopté un règlement qui accordait le pardon à tout fugitif qui reviendrait auprès de son maître dans un délai d’un mois."(27)

Les groupes de marrons vont vivre dans la forêt et organiser leur propre structure de gestion autour d’un chef.

"Le danger que représentait le grand marronnage parut encore plus grand lorsqu’un groupe d’esclaves révoltés du Surinam, les Boni, franchit le Maroni et s’installa en Guyane, à la fin du XVIIIème siècle."(28)

Le marronnage ne va disparaître réellement que lors de l’abolition de l’esclavage de 1848.

II - UN ACCèS AU DROIT DIFFICILE : DU SCEPTICISME A UNE ASSIMILATION IMPARFAITE.

A°)- Le scepticisme quant à l’accès réel au Droit.

1°)- Le précédent de la 1ère abolition de l’esclavage avortée de 1794 :
une dénégation de l’accès au Droit.


La Révolution Française et les idées notamment de Liberté qui lui sont inhérentes entraîneront la remise en cause du système juridique esclavagiste.

C’est ainsi que l’esclavage est aboli en 1794.

Son application ne va pas sans poser de problèmes en Guyane.

En effet, il y a une hostilité manifeste, fondée sur des intérêts économiques, envers cette mesure abolitionniste.

De plus, les idées révolutionnaires trouvent un écho chez les esclaves.

On note des formes de "résistance noire en 1789, 1790 et aussi 1793 avec la recrudescence du marronage."(29)

En fait, c’est d’autorité que va être appliqué ce texte.
Quels ont été les effets de ce texte abolitionniste quant à l’accès au droit ?
Importants, dans la mesure où s’entrouvre un nouveau paysage juridique pour les anciens esclaves.

Ainsi,

"A peine l’abolition de l’esclavage proclamée, les nouveaux citoyens sont appelés à exercer les droits politiques qui leur sont immédiatement reconnus en votant pour l’élection au suffrage universel masculin d’une nouvelle Assemblée coloniale.

C’est un exemple unique ; à la Guadeloupe, comme à Saint-Domingue, il n’y a plus d’Assemblée, coloniale ou départementale. Ni dans l’une ni dans l’autre, le suffrage universel n’a été introduit sous la Révolution.

En Guyane, non seulement les noirs participent très sérieusement aux élections, mais un des leurs entre à l’assemblée à côté de 2 métis."(30)

Cette participation massive aux élections témoigne sans conteste d’une adhésion au nouveau système juridique institué par les Révolutionnaires.

Pour la première fois, les noirs de la colonie guyanaise peuvent devenir des acteurs juridiques en 1794.

Toutefois, ce nouvel état de Droit imposé par la Révolution est contesté fondamentalement par les colons de la colonie.

Ainsi, ils tentent de "saboter " cette abolition, "soit par d’incessantes démarches à Paris sur la base de motions ou lettres adoptées par l’Assemblée coloniale ou départementale ou par le Directoire du département Cayenne-Guyane française ; soit par la voie anonyme de rumeurs sur le rétablissement prochain de l’esclavage qui suffisent à détruire toute confiance chez les ex-esclaves."(31)

Le contact produit entre le Droit et les anciens esclaves est sur le plan psychologique très important.
Les nouveaux citoyens de 1794 ne participeront pas seulement à des élections.
En effet, ils seront également inséré dans la sphère militaire puisque le gouverneur COINTET créera un bataillon de noirs.

L’accès au Droit est perceptible malgré la grande hostilité des colons.

L’argument qui sera mis en exergue par les colons pour justifier la non application de l’abolition de l’esclavage en Guyane sera économique : le système de production est en panne faute de main d’oeuvre.

Qu’en est-il exactement ?

Pour Yves BENOT, "le travail des champs n’est pas tombé à zéro, la baisse de production des premiers mois, et à laquelle concourent des causes indépendantes de l’abolition de l’esclavage, a été un épisode passager. La Guyane sous le régime de la liberté générale a continué à produire coton, indigo, clous de girofle, peu de sucre il est vrai.

Certitude qui ne devrait pas non plus être une découverte, c’est que les propriétaires dans cette colonie, blancs essentiellement, mais aussi bien hommes de couleur et noirs libres d’avant l’abolition quand ils le sont, tous ont pour règle d’oublier de payer les impôts qu’ils doivent, avant comme après la Révolution. C’est là une source de difficultés économico-financières qui ne doit rien à la soi-disant paresse des nouveaux citoyens."(32)

Le 20 Mai 1802 marque l’anéantissement du modèle juridique révolutionnaire : l’esclavage et la traite sont rétablis.

D’un texte, on annihile tous les droits donnés huit années plus tôt aux gens de couleur.

La réaction est vive et on assiste à une forte recrudescence du marronnage, seule forme de contestation du système juridique mis en place.

La perception du Droit et la confiance en celui-ci ne pourra plus être la même.

2°)- La citoyenneté de 1848 : un accès au droit limité du fait de l’ordonnance de 1828.

L’abrogation de l’esclavage en 1794 et son rétablissement en 1802 va entraîner un doute sérieux quant à la légitimité et à la confiance que les esclaves peuvent accorder au Droit venu de France.

Même après 46 ans, cette " duperie juridique " est toujours présente dans les esprits de certains esclaves.

En effet,

"Les esclaves les plus âgés sont les plus sensibles à l’évocation du danger que représenterait la réplique du scénario de 1802. Alors que le processus d’abolition était bien entamé, on a même vu des esclaves exiger de leurs maîtres la poursuite de la procédure administrative nécessaire à leur rachat, estimant plus certain le certificat d’affranchissement délivré par la mairie de leur village qu’un décret d’abolition venu de Paris."(33)

Les esclaves ne font plus confiance au Droit, un Droit qui les a trahi en leur accordant une liberté, reprise plus tard.

Si la citoyenneté est reconnue en 1848 aux noirs asservis, la structure juridique de la colonie demeure inchangée.

Napoléon III, par un sénatus consulte du 3 Mai 1854 va notamment soumettre les colonies à un régime constitutionnel particulier.

La colonie guyanaise échappe à ce régime de droit commun et reste soumise au régime institué par l’ordonnance royale du 27 Août 1828 (modifiée en 1833) et au principe dit des décrets (l’exception coloniale).

En effet, contrairement aux dispositions du sénatus consulte de 1854, aucune intervention du législateur ou du Conseil d’Etat n’est nécessaire pour rendre applicable un texte en Guyane.

En principe, un décret simple suffit.

Toutefois, les lois et règlements métropolitains ne sont pas applicables pour autant de jure en Guyane.

L’application dans la colonie d’un texte législatif ou réglementaire de la France continentale était préalablement soumise à une double formalité obligatoire.

En premier lieu, le texte législatif ou réglementaire devait faire l’objet d’une promulgation par décret du président de la République.

En deuxième lieu, le Gouverneur devait à son tour, après cette promulgation présidentielle, le promulguer au sein de la colonie.

En effet, il convient de préciser que :

"Les lois et décrets relatifs aux colonies, bien que promulgués dans la métropole par le Président de la République et publiés dans le Journal officiel de la République française ou dans les Bulletins des lois, ne sont pas par cela seul exécutoires dans la colonie. Il faut une seconde promulgation et une publication spéciale faite par le gouverneur dans la colonie.

La promulgation par le gouverneur ne peut pas remplacer celle faite par le chef de l’Etat qui reste exigée ; elle se superpose simplement à cette première promulgation, tout en n’étant pas moins nécessaire. La simple insertion de la loi ou du décret au Journal officiel de la colonie ne saurait en tenir lieu. Il faut un acte de promulgation manifestant d’une façon indiscutable la volonté du gouverneur de rendre la loi ou le décret applicable à la colonie. Or cette volonté ne résulte pas nécessairement de la simple insertion au Journal officiel de la colonie qui a pu être faite en dehors de lui ou dans un autre but.

La loi ou le décret, à défaut de cette seconde promulgation, n’est pas applicable dans la colonie, et comme le gouverneur a, à cet effet, une très grande latitude, aucun délai ne lui étant imparti, il en résulte qu’il peut retarder indéfiniment la mise en vigueur de la loi ou du décret. Le remède consiste dans le droit qui appartient au ministre de donner au gouverneur un ordre devant lequel ce dernier doit s’incliner [...]"

"L’arrêté de promulgation doit être publié par le gouverneur dans le Bulletin officiel ou le Journal officiel de la colonie. Quant à la loi ou au décret promulgué lui-même, il n’est pas nécessaire d’en insérer le texte dans le journal officiel de la colonie. C’est du moins ce que décide une jurisprudence constante à notre avis beaucoup trop facile. Le texte de loi ou du décret est en effet beaucoup plus intéressant à connaître pour le public que celui de l’arrêté de promulgation qui, en somme, ne lui apprend pas quelle est cette législation à laquelle on le soumet. Renvoyer à une loi, ce n’est pas la publier [...] " (notamment cité par l’auteur Cassation, 13 Juillet 1898).

Ce n’est donc qu’au bout d’un parcours lent et compliqué que le citoyen de Guyane était investi de droits reconnus au citoyen demeurant en France métropolitaine.

B°)- La départementalisation : un accès au droit étendu en théorie mais inachevé dans les faits.

1°)- Un accès au Droit limité jusqu’en 1969.

En 1848, le Droit attribue une citoyenneté aux anciens esclaves.

La loi du 19 Mars 1946 érige la Guyane, à l’instar des trois autres colonies, en un département français.

L’objet de cette loi répond à une volonté assimilationniste de l’époque et tend à une égalité entre les anciennes colonies et les départements métropolitains.

Pourtant, l’article 3 prévoit de la loi de 1946, non sans rappeler les dispositions antérieures, que "les lois ... applicables à la Métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes."

Ainsi, l’égalité juridique entre les nouveaux départements et les départements métropolitains est imparfaite dans la mesure où les lois ne sont applicables à ces DOM que si elles ont expressément mentionné leur application.

Conscient de cette inégalité de traitement et des problèmes soulevés, l’article 73 de la Constitution de la IV ème République modifia cet article 3 de la manière suivante :

"Le régime législatif des départements d’Outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf les exceptions déterminées par la loi."

Cette modification constitutionnelle désormais influe sur l’application du Droit en Guyane.

En effet, il n’existe plus d’écran (le gouverneur) entre le Droit d’origine métropolitaine et son application en Guyane.

Le citoyen guyanais est nanti désormais des mêmes droits votés par le Parlement et mis à la disposition du citoyen vivant en France continentale.

Toutefois, la mise en place du régime départemental et ses implications de jure du Droit métropolitain ne s’accompagne pas d’une politique d’explication d’accès au droit.

Ce défaut d’explications va se retrouver lors de la réorganisation administrative du département.

2°)- Un accès au Droit étendu en 1969 mais limité dans la pratique.

Un décret du 6 Juin 1930 avait divisé le territoire guyanais en deux superficies inégale :
d’un côté, la Guyane Française ; de l’autre, le territoire de l’Inini.

La loi de 1946 sur la départementalisation ne modifie pas le cadre géographique posé en 1930.

De plus, une loi du 14 Septembre 1951 portant sur l’organisation du Département de la Guyane maintient à ce territoire un statut spécial pour 10 ans et établit dans l’arrondissement un régime municipal spécial.

C’est un décret du 17 Mars 1969 qui a supprimé ce territoire de l’Inini et réorganisé le territoire guyanais.

Ainsi, en plus de l’arrondissement de Cayenne, il est créé un arrondissement à Saint-Laurent.
Cette réorganisation a des effets directs au niveau du Droit sur les habitants.

En effet, le décret de 1969 créé des communes dans l’ancien territoire de l’Inini et ouvre l’ensemble du territoire à un système administratif unique.

La réorganisation de 1969 fait basculer les populations amérindiennes et bushiningue dans le système juridique administratif français et sa Norme, populations qui n’étaient pas présentes en tant qu’acteurs juridiques du paysage guyanais.

B)- L’intégration des communautés ethniques dans le système juridique français.

Les différentes évolutions statutaires dont la Guyane avait été l’objet, avaient surtout bénéficié à la communauté créole.

En effet, les amérindiens ( à part les galibis de la côte ) et les bushningues vivaient en général en marge du système juridique dans l’Intérieur des terres.

Le territoire de l’Inini avait accentué cette marginalisation avec le Littoral guyanais.

Ces communautés bénéficiaient d’une certaine autonomie.

En effet, ce territoire de l’Inini était divisé en neuf cercles municipaux, lesquels étaient administrés par des commandants de brigades de gendarmerie.

Le texte de 1969 met fin à l’existence de cette bipartition du territoire en supprimant le territoire de l’Inini.

Il fait entrer de jure dans le système administratif du département les communautés amérindienne et bushiningue.

En effet, ce texte créé sur l’ancien territoire de l’Inini, cinq communes.

Désormais, on créé des communes à dominante ethnique où les communautés exercent des pouvoirs administratifs.

Cette réorganisation ne s’accompagne pas d’un effort d’explications juridiques.

L’évolution des communes amérindiennes et bushiningues posera nécessairement la problématique entre le Droit Français appliquée par le Maire, organe juridique du Droit Républicain, et la Norme Coutumière appliquée par les Chefs coutumiers.

En conclusion, l’histoire de la Guyane met en exergue des lignes de fracture entre la société et le Droit.

En effet, il semble exister une problématique à ce niveau, tant l’histoire nous montre que Droit et Guyane sont deux notions qui se sont opposées.

La colonisation française s’est manifestée par la remise en cause du système amérindien.

Elle s’est poursuivie par l’introduction de l’esclavage des noirs et la promulgation du Code noir.

Le statut juridique du système esclavagiste et de l’esclavage sont fixés : l’esclave noir est un meuble.

Cet ordre juridique mis en place est vécu par les amérindiens et les noirs comme une annihilation de leur personne.

Le premier contact avec le Droit est caractérisé par la contrainte.

Et les dispositions du Code noir concernant la protection de l’esclave et son accès à un système juridique protecteur sont illusoires et ne font qu’ajouter un sentiment de frustration : ces dispositions ne seront que virtuelles.

Le marronnage relativement important que va connaître la Guyane constituera le stade ultime d’une dénégation du Droit inégalitaire imposé par le Code noir.

Le deuxième contact des esclaves noirs avec un système juridique d’accès au Droit a été de très courte durée.

La première abolition de l’esclavage en 1794 marque l’application des idées révolutionnaires et donne une citoyenneté aux " gens de couleur ".

Cette abolition est fortement contestée en Guyane par les colons ainsi que par l’armée.

En définitive, cette liberté donnée en 1794 est reprise en 1802, date où Napoléon 1er rétablit l’esclavage et la traite des noirs.

Ce revirement dans l’application du Droit a créé un doute sur la confiance légitime qu’une partie de la future population guyanaise peut avoir en ce Droit.

En effet, peut-elle réellement avoir confiance en un Droit venu de France qui proclame en 1794 une Liberté et la dénie en 1802 aux nouveaux citoyens, huit années après ?

En 1848, la deuxième abolition de l’esclavage est proclamée.

La mise en place de cette seconde abolition laisse certains esclaves perplexes et leur rappelle le scénario traumatisant de 1802: certains demanderont des lettres d’affranchissement parce qu’ils n’auront pas confiance en un Droit qui leur a accordé la Liberté en 1794 et repris celle-ci en 1802.

En 1848, à une inégalité dans le statut juridique succède une inégalité dans l’accès à la citoyenneté et aux droits qui s’y rattachent.

La nouvelle citoyenneté entraîne l’application d’un Droit "étranger" élaboré et appliqué dans la colonie à une population majoritaire non préparée à une culture juridique .

De plus, le Droit appliqué jusqu’alors aux populations esclaves a été synonyme de répression plutôt que de Liberté.

Basculer d’un système juridique répressif à un système juridique de liberté ne peut qu’engendrer un certain scepticisme quant au bien-fondé juridique de la Liberté.

De plus, contrairement à la France métropolitaine où les règles de droit écrit trouvent un écho dans une culture juridique préexistante, une telle conception du Droit n’existe pas en Guyane.

1946 marque l’introduction du Droit métropolitain en Guyane : les dispositions juridiques sont systématiquement appliquées sans promulgation locale.

L’accès au Droit est désormais étendu à la population guyanaise.

Pourtant jusqu’en 1969, le Droit s’accommode d’un mode de gestion parallèle dans le territoire de l’Inini.

En réalité, les fractures historiques montrent que le Droit a été vécu dans son histoire comme un fait extérieur, un fait importé abruptement. C’est un Droit qui s’est développé en dehors de la société guyanaise.

L’accès au Droit n’a jamais été une préoccupation de l’Etat et des Collectivités Locales vis-à-vis des différentes composantes de la population guyanaise tant en 1848, date d’une nouvelle composition de la société guyanaise, que par la suite.

L’accent est plutôt mis sur des aspects culturels et économiques, l’assimilation du Droit (du moins de ces grands principes) n’est pas à l’ordre du jour.

Pourtant, l’inculture juridique de la majorité de la population guyanaise à un Droit Français importé aurait du conduire à la mise en place de mesures d’accompagnement et d’explication de ce Droit extérieur.

Cette absence de paramètres sommaires va engendrer une tension entre un Droit non compris car non expliqué et une société guyanaise en grande partie meurtrie historiquement par un système juridique où le statut d’être humain était inexistant.

De là, on peut constater qu’il y a un hiatus entre le Droit et la société guyanaise, une non adhésion originelle aux règles juridiques appliquées.

Ce malaise va s’accentuer par l’intégration en 1969 de communautés amérindiennes et noires marrons dans un système de normes administratives françaises qui leur échappe.

Cet état de fait n’a pu que créer un décalage entre un Droit non expliqué et son appréhension erronée par la population concernée, non formée à ce mode de culture juridique.

L’état actuel de la société guyanaise muti-composite démontre manifestement une certaine boulimie à appréhender le phénomène juridique, à comprendre les droits dont la Loi les investit.

Cette demande d’explication juridique doit être satisfaite.

Cela doit conduire nécessairement à mettre en place une politique d’accès au droit ambitieuse qui tient nécessairement compte du grand vide qu’il convient de combler afin que le Droit Français devienne une norme communautaire fédératrice de la société guyanaise, un élément de pacification entre des communautés multi-ethniques.

Cela devrait se traduire par des moyens exceptionnels, tant le retard d’explications à rattraper est grand et tant le besoin multiforme d’accès au droit doit s’adapter aux composantes diverses de la population guyanaise.

Patrick LINGIBé
Avocat au Barreau de la Guyane
Chargé de Cours à l’Institut d’études Supérieures de la Guyane
Email : patrick.lingibe@wanadoo.fr

 



(1) Lexique des termes juridiques, édition DALLOZ.
(2) AUBERT (Jean-Luc), Introduction au droit, PUF, collection Que sais-je, p 14.
(3) Rappelons que la coutume se caractérise par la réunion cumulative de deux éléments :
- un élément matériel caractérisé par la répétition d’une manière continue et prolongée d’un comportement ;
- un élément psychologique consistant à la croyance au caractère obligatoire de ce comportement.
(4) AUBERT (Jean-Luc), cité supra, p 51.
(5) MAM-LAM-FOUCK (Serge), Histoire générale de la Guyane Française, éditions Ibis Rouge 1996, p 21.
(6) MAM-LAM-FOUCK (Serge), cité supra, p 21.
(7) MAM-LAM-FOUCK (Serge), cité supra, p 21.
(8) MAM-LAM-FOUCK (Serge), cité supra, p 21.
(9) HURAULT (Jean-Marcel), Français et Indiens en Guyane, Editions Guyane Presse Diffusion, 1989, p 101.
(10) HURAULT (Jean-Marcel), ouvrage précité, p 101.
(11) Règlement de M. D’ORVILLIERS, Gouverneur de Cayenne du 22 Février 1722, Concernant les Indiens avec l’ordre du Roi en réponse, Code la Guyane Française, Tome 1, 1826, Imprimerie du Gouvernement, Archives départementales, pp 353-356, n° 126.
(12) HURAULT (Jean-Marcel), Français et Indiens en Guyane, Editions Guyane Presse Diffusion, 1989, p 102.
(13) HURAULT (Jean-Marcel), ouvrage précité, p 102.
(14) MAM-LAM-FOUCK (Serge), Histoire générale de la Guyane Française, Editions Ibis Rouge, 1996, p 60.
(15) MAM-LAM-FOUCK (Serge), ouvrage précité, p 62.
(16) GISLER (Antoine), l’Esclavage aux Antilles françaises, Editions Karthala, 1981, p 20.
(17) Date d’enregistrement de l’édit au Conseil supérieur de Cayenne, Code de la Guyane Française, éditions du Gouvernement, pp 9-25, Archives départementales de la Guyane, n° 51826.
(18) Vers la fin du système esclavagiste, on notera toutefois des plaintes d’esclaves à l’encontre de leur maître.
(19) GISLER (Antoine), l’Esclavage aux Antilles françaises, Editions Karthala, 1981, pp 110-111.
(20) GISLER Antoine, ouvrage précité, pp 99-100.
(21) DORIAC (Neuville), Esclavage, assimilation et guyanité, Editions Anthropos, 1985, p 17.
(22) DORIAC (Neuville), ouvrage précité, p 17.
(23) FLAMARION CARDOSO (Ciro) et MARTINIERE (Guy), La société et de l’économie guyanaise au XVIIIème siècle, Historial antillais et guyanais, tome 2,éditions Dajani, 1981, p 444.
(24) MAM-LAM-FOUCK (Serge), Histoire générale de la Guyane Française, Editions Ibis rouge, 1996, p 179.
(25) FLAMMARION CARDOSO (Ciro) et MARTINIERE (Guy), ouvrage précité, p 444.
(26) MAM-LAM-FOUCK (Serge) ouvrage précité, p 179.
(27) MAM-LAM-FOUCK (Serge), Histoire générale de la Guyane Française, Editions Ibis Rouge, 1996, p 178.
(28) MAM-LAM-FOUCK (Serge), ouvrage précité, p 180.
(29) Yves BENOT, La Guyane sous la Révolution, Editions Ibis Rouge, 1997, p 186.
(30) Yves BENOT, La Guyane sous la Révolution, Editions Ibis Rouge, 1997, p 186.
(31) Yves BENOT, ouvrage précité, p 187.
(32) BENOT (Yves), La Guyane sous la Révolution, Editions Ibis Rouge, 1997, pp 188-189.
(33) MAM-LAM-FOUCK (Serge), L’esclavage en Guyane, Editions Ibis Rouge, 1998, pp 28-29.
(34) Ordonnance organique du 27 Août 1828, Bulletin Officiel de la Guyane 1829, pp 2-112, Archives départementales de la Guyane. Cf aussi Répertoire général alphabétique et chronologique (1817-1900), Maurice MICHAUX, Imprimerie du Gouvernement 1901, Archives départementales de la Guyane, n° 1476, pp 345.
(35) GIRAULT (Arthur), Principes de Colonisation et de Législation Coloniale, 3ème édition, Tome 1, Editions SIREY 1907, pp 388.
(36) GIRAULT (Arthur), Principes de Colonisation et de Législation Coloniale, 3ème édition, Tome 1, Editions SIREY 1907, p 389.


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