Le carnaval guyanais 2004 dédié à la faune et la flore nous a ravis par ses sons et ses couleurs inspirés d’une nature guyanaise, bruyante et brillante, qui nous entoure au quotidien. Heureusement, moi aussi, j’ai survécu à la folie touloulou…
Le 18 janvier dernier, j’écrivais « cette vie est belle… à chaque nouveau "soleil levant", nous serons encore émerveillés par tant de beautés faunistiques et floristiques…».
En effet, en raison de l’heure très tardive du passage des groupes festifs et de la vétusté de l’éclairage public dans les rues de Cayenne, tous les effets recherchés par les carnavaliers déguisés restaient invisibles à nos yeux, disparaissant dans la pénombre à l’heure où tous les chats sont gris. Faute de soleil dans des rues mal exposées, pas ou peu éclairées à la nuit tombante, et faute de lumière d’appoint, les efforts renouvelés des festivaliers ont ainsi perdu de leur portée. En attendant, seuls les flashes des appareils photographiques révélaient à l’œil humain tout l’éclat des costumes resplendissants et scintillants.
Mais pour les yeux des pauvres badauds que nous sommes, ces couleurs restaient ternes, fades, sans saveur, nos cônes et bâtonnets rétiniens restant frustrés par la pauvreté des effets visuels de la grande parade de cette fin de journée carnavalesque. Quel dommage ! La fête était en partie gâchée. Quelle leçon faudra-t-il en tirer pour l’avenir, et comment y remédier ?
images imprimées sur nos rétines, nos pellicules et nos mémoires (numériques ou pas). Cependant, si hormis les malentendants, nous percevons tous les mêmes sonorités et harmonies musicales, en revanche nous ne sommes pas tous égaux devant la couleur.
’une déficience de la vision des couleurs contre une femme sur deux cents. Quelle est donc cette "infirmité" cachée ? Ces faux daltoniens sont des "trichromates déficients" car les cônes de leur rétine (pour la vision des couleurs) sont moins sensibles à certaines longueurs d’onde du spectre lumineux dans le rouge, le vert ou le bleu. C’est à dire que leurs pigments rétiniens ne perçoivent pas correctement les couleurs et trompent le cerveau en donnant des informations erronées.
de jour lors des grandes parades, de nuit dans les universités. Et ces erreurs de jugement sont d’autant plus importantes que les éclairages sont absents ou insufffisants, dans les rues de Cayenne surtout.
Il y a une dizaine d’années, la revue du Palais de la Découverte de Paris a publié un numéro spécial (n°44, octobre) sur le thème «Couleurs de la Nature», recueil des communications présentées lors d’une conférence sur le thème de la vision des couleurs. Un chapitre y traitait des couleurs et des parades d’oiseaux en forêt tropicale, guyanaise en particulier, le parallèle avec le carnaval étant ici d’actualité. Dans cet article, Marc Théry(1)(CNRS) relate comment les oiseaux du sous-bois forestier, le coq- de- roche et plusieurs espèces de manakins, bénéficient des tâches de lumière pour que, au cours de leur parade nuptiale, lors du choix et la sélection des partenaires sexuels, rayonnent les couleurs de leur plumage.

C’est donc entre 7 et 15-16 heures que les coqs-de-roche mâles sont les plus actifs et les plus lumineux, leur orange brillant de mille feux dans la lumière. L’écologiste a longuement observé les oiseaux à la station de recherche des Nouragues (www.cnrs.fr/nouragues et www.guyane.cnrs.fr) et a montré que les mâles y paradaient dans les taches de lumière lorsque le soleil n’était pas caché par les nuages ; ils y exposent alors leurs plumes, crêtes et rémiges terminales, aux regards des femelles qui sont uniquement présentes pendant ces quelques moments de la journée, avant 8 heures et après 14 heures 30 en général. Un seul but occupe l’esprit des mâles : être vu et montrer leurs plus belles couleurs sous le meilleur angle possible au congénère du sexe opposé. De l’efficacité de cette parade nuptiale dépendra le succès reproducteur du mâle et l’assurance que les gènes du bel orange vif seront transmis.| Photos prises à une ou deux secondes d’intervalle lors de la grande parade du littoral à Kourou le 15 février 2004. A droite on peut voir l’effet de l’absence de flash dans de mauvaises conditions lumineuses (il venait de pleuvoir) et à droite avec un apport de lumière blanche. Le «coq-de- roche» ainsi que le «jaguar» sont ici bien plus visibles et resplendissants pour l’oeil humain. |
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La règle est la même pour les manakins multicolores, ces petits passereaux du sous-bois dont les mâles présentent tout un florilège de comportements au cours de leur parade ou pour faire fuir un mâle compétiteur : vols bruyants avec claquements des ailes lors de chaque passage entre deux perchoirs ; volte-face avec exposition des parties colorés ; vols papillonnants. Un autre exemple classique bien connu des lépidoptéristes est celui du grand morpho bleu qui virevolte au petit matin, autour de 10 heures, sous les rayons lumineux des criques bien éclairées et le long des fleuves. Lors de la grande parade de Cayenne, le grand morpho bleu a été pour sa part plutôt désavantagé, comme le sont d’ailleurs ses malheureux congénères qui trônent dans leur boite en bois sous verre, inertes et ternes, dans les magasins pour "éco-touristes. Lors de la grande parade de Cayenne, le grand morpho bleu a été pour sa part plutôt désavantagé, comme le sont d’ailleurs ses malheureux congénères qui trônent dans leur boite en bois sous verre, inertes et ternes, dans les magasins pour "éco-touristes".
Les sexes sont inversés dans les universités. Le mâle coloré qui parade sur l’arène est le toulouloua. Ne dit-on pas un touloulou ! La femelle, à l’instar des femelles coq-de-roche ou manakin peu colorées et sans atour particulier qui attendent leur tour de danse, est le cavalier. Ce dernier est là, immobile, impassible, mais observateur averti. Il joue ainsi pleinement son rôle. Les regards pourtant se croisent, se jugent, s’estiment. Les yeux de toulouloua ont beau être ’ceux du magasin’ (dixit le groupe musical Karnivor dans la chanson ’Aye, aye, aye’), ils savent qu’ils sont regardés, contemplés, admirés par les cavaliers.
Le toulouloua veut être remarqué par les yeux de tous ces cavaliers qui attendent non sans une certaine angoisse l’invitation salvatrice pour une danse endiablée, sans fin ou presque. Le toulouloua est comme ce grand morpho bleu qui ne vit qu’un jour, une nuit, mais intensément, jusqu’au petit matin, au soleil levant. Son rythme d’activité est bien calé sur cette lumière de pénombre auréolée de toutes les tâches lumineuses des spots d’ambiance qui irisent les couleurs des tissus de son costume.
Dans la nature, la couleur est souvent l’apanage des animaux diurnes. C’est cette profusion de livrées, de plumages, qui nous fait aimer la diversité de la nature guyanaise dont on se régale les yeux ad libitum. Le blanc immaculé de la banquise polaire est certes aussi beau mais d’une autre nature que la nôtre, tropicale. Le coq-de-roche, les manakins et le morpho n’affectionnent pas particulièrement cette lumière intense, celle qui inonde les neiges arctiques et antarctiques, qui brûle et déssèche les yeux et les peaux ; pour s’en protéger, ils se réfugient dans l’ombre du sous-bois de la forêt tropicale.
Le corollaire de ces altérations de l’environnement naturel est la disparition des espèces animales qui ne sont plus adaptées à un microclimat plus ensoleillé, plus désséchant, plus drastique et donc moins humide ; la couleur des organismes n’y est plus la même sous cet éclairage nouveau et cette diversité disparaît des forêts anthropisées qui virent toutes au gris ; ces couleurs ne renaîtront pas de sitôt une fois envolées, disparues pour longtemps. Photos du carnaval : P.-M. Forget © 2004.
Un grand merci aux établissements Nouh Chaïa.
Pour en savoir plus :
(1) Sur le comportement de parade du coq de roche et des manakins en Guyane :
Théry, M. (1987) Influence des caractéristiques lumineuses sur la localisation des sites traditionnels, parade et baignade des manakins (Passeriformes, Pipridae). CR Acad Sci sér III 304, 19-24.
Théry, M. (1990a) Display repertoire and social organization of the White-fronted and White-throated Manakins. Wilson Bull 102, 123-130.
Théry, M. (1990b) Influence de la lumière sur le choix de l’habitat et le comportement sexuel des Pipridae (Aves : Passeriformes) en Guyane française. Rev Ecol-Terre Vie 45, 215-236.
Théry, M. (1994) Couleurs et parades d’oiseaux en forêt tropicale. Rev. Palais Découverte S44, 71-76.
Théry, M. and Endler, J.A. (1996) Discrète séduction. Pour la Science 221, 30.
Théry, M. and Vehrencamp, S. (1995) Light patterns as cues for mate choice in White-throated manakins Corapipo gutturalis. The Auk 112, 133-145.
Sur la lumière en forêt guyanaise et la couleur des oiseaux :
Bongers, F., Van der Meer, P. and Théry, M. (2000) Scales of ambient light variation in the forest. In: Bongers, F., Charles-Dominique, P., Forget, P.-M. and Théry, M. (eds), Nouragues. Dynamics and plant-animal interactions in a neotropical rainforest. Kluwer Academic Publisher, Dordrecht, The Netherlands, pp. 19-29.
Théry, M. (2001) Forest light and its influence on habitat selection. Plant Ecology 153, 251-261.
Théry, M. and Endler, J.D. (2000) Habitat selection, ambient light and color patterns of birds. In: Bongers, F., Charles-Dominique, P., Forget, P.-M. and Théry, M. (eds), Nouragues. Dynamics and plant-animal interactions in a neotropical rainforest. Kluwer Academic Publisher, Dordrecht, The Netherlands, pp. 161-165.
(2) Les timbres représentant des coqs-de-roche et des manakins sont extraits du site : www.bird-stamps.org. A noter que dans le livre du GEPOG : «Portraits d’oiseaux guyanais», plusieurs pages sont consacrées au coq-de-roche (pp. 382-385), à leurs parades et à leurs couleurs.
(3) Dessin : François Feer ©. On y voit trois animaux (le coq-de-roche, le singe hurleur et l’agouti) et deux arbres fruitiers (Tetragastris altissima et Chrysophyllum lucentifolium) emblématiques de la réserve naturelle des Nouragues. Cette faune et cette flore sont aujourd’hui mis en danger par le développement d’un orpaillage clandestin sur les rivières Arataye et Approuague, dans les limites, en bordure et dans la réserve naturelle (Décret n° 95-1299 du 18 décembre 1995 portant création de la réserve naturelle des Nouragues, Guyane).


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