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La Question africaine
par René Ladouceur

Le discours de Nicolas Sarkozy, prononcé le 26 juillet dernier dans un amphithéâtre de l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, suscite jusqu'à aujourd'hui un torrent de commentaires indignés en Afrique.

Force est de constater que cette vague d'hostilité, dont le chef de l’Etat n'avait sans doute pas anticipé l'ampleur, n’épargne pas la Guyane. A preuve. La lettre ouverte publiée l’autre semaine par l’enseignant Pierre Ajavon.

On oublie un peu vite que le discours de Sarkozy épouse parfaitement l'état actuel de l'opinion, à Paris comme à Cayenne.

Pour ma part, ayant prévu et guetté depuis très, très longtemps les réactions des couches populaires sur la question de l'immigration, je n’ai aucunement été surpris, lors de la présidentielle, par le vote de la Guyane en faveur de Sarkozy.

L'outrage de Le Pen n’a pas été de soulever le débat sur l'immigration mais de l’avoir bel et bien empoisonné. Car débarrassés de leur insupportable caractère pétainiste et de leurs accents antisémites et chauvins, les discours de Le Pen rappelaient curieusement les mêmes questions que Rocard lorsqu’il affirmait « on ne peut accueillir toute la misère du monde mais on doit prendre notre part pour y remédier », Fabius « Le Pen formule de bonnes questions mais de très mauvaises réponses », Balladur « La préférence nationale n’est aucunement immorale », Chirac « les mauvaises odeurs dans l’escalier », sans parler du coup de sang de Georges Othily, en 2004, lors de la campagne pour les régionales.

La droite, loin de se lepéniser, est donc plutôt parvenue à "défasciser" le problème et si, pour mieux fixer son électorat, elle a ouvert, comme d’ailleurs elle s’y était engagée, son ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, elle ne s’est pas moins offert le luxe de confier à des femmes issues de l’immigration des responsabilités ministérielles d’importance première. Et je ne pense pas que la gauche ait tiré toutes les leçons de son insuffisance lorsque je lis ses commentaires sur les discours africains de Sarkozy. Après un procès irrécusable et sans nuances de la colonisation, le successeur de Jacques Chirac a eu l’agressif mérite de proposer un débat sur l’Afrique. On peut ne pas partager son avis mais, pour ma part, je ne trouve que des avantages à ce que les tabous soient levés. Sarkozy mérite qu’on lui réponde autrement qu’avec des indignations incantatoires.

J’ai encore en mémoire cet éditorial publié dans un grand quotidien de Dakar. L’auteur de l’article ne trouvait pas de mots assez durs pour fustiger l'intervention de Sarkozy ni surtout pour dénoncer ce qu’il appelait les « persistants préjugés raciaux » des Occidentaux. A dire vrai, la presse française elle-même ne lui a pas facilité la tâche en s'obstinant à présenter Henri Guaino, le conseiller de Sarkozy, comme l’auteur du discours. C'est inexact. La plume africaine de Sarkozy n’est autre que Rama Yade, l'actuelle secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, elle-même d'origine sénégalaise. Du reste, quiconque a lu son dernier livre, Noirs de France*, le comprend fort bien. On y trouve en filigrane tout le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Sur un sujet propice à tous les égarements, le traitement de la diversité, Rama Yade tisse une réflexion originale autant que radicale. Plutôt que de crier une fois de plus au racisme, elle postule plus subtilement un défaut d'identification des Franco-Français vis-à-vis de leurs compatriotes noirs qu'ils ont du mal à considérer comme des égaux. Déplorant le couple infernal de la mauvaise conscience coloniale et de la victimisation, elle fustige également ces sociologues bien-pensants dépêchés à chaque émeute de banlieue pour excuser les violences les plus odieuses tandis que les municipalités achètent le calme en infantilisant les familles. Au beau milieu de sa démonstration, elle lâche cette phrase terrible, qui devrait faire réfléchir du côté de la gauche guyanaise : quand la droite dit aux Noirs : « Vous êtes des Français », la gauche leur répond : « Vous êtes des victimes ».

Le Guyanais René Maran, en terminant la rédaction de Batouala**, a noté dans son Journal cette réflexion, que l’on continue à attribuer au Martiniquais Frantz Fanon : « Nous sommes parfaitement fondés à faire le procès de la colonisation. Encore faudrait-il que nous ne demeurions pas esclaves de l’esclavage ». Le discours de Sarkozy en Afrique est entièrement structuré autour de cette idée clef : trop de mémoire nuit au développement du continent noir. Ce n'est ni en écrivant de l'histoire officielle ni en sacrifiant aux passions communautaires que l'on pansera les plaies du passé. Car si l'on peut réparer des fautes, on ne peut réparer l'histoire. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’absoudre le crime de l’Occident. Tant s’en faut. Si les Européens ne sont pas les inventeurs de la traite, ils lui ont donné une ampleur considérable au siècle des Lumières, le XVIIIe de Diderot et Rousseau. Comment expliquer un tel phénomène à l'échelle quasi mondiale ? L'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, qui à force de maladresse s'est mis à dos bonne partie de l'intelligentsia africaine, n'a pas moins creusé le sujet. Dans son Essai d'histoire globale*** sur les traites négrières, le jeune historien estime qu'environ 42 millions d'esclaves furent déportés pendant treize siècle, du VIIe au XXe siècle.

Oui, vous avez bien lu, pendant treize siècles. Parce qu’en réalité il n'y a pas une seule traite mais bien trois ! La plus connue, celle dont on parle quasi exclusivement est, bien sûr, la traite atlantique. Elle a été organisée pour des motifs économiques principalement par les Hollandais, les Britanniques, les Français et les Américains. Entre 1450 et 1860, les Africains ainsi déportés servent principalement de main-d’œuvre dans les plantations coloniales des Antilles et du sud des Etats-Unis. Mais il y a aussi une autre traite, plus ancienne : la traite orientale pratiquée sans plus d'états d'âme par des marchands arabes dès le VIIe siècle de notre ère. Cette exploitation-là a duré treize siècles. Et se prolonge encore aujourd'hui puisque l'esclavage n'est toujours pas aboli dans certains pays comme l'Arabie Saoudite.

Enfin, il y a la traite africaine. Comme au Moyen-Orient, en Egypte ou en Grèce, l'esclavage existait depuis la nuit des temps en Afrique. Mais la « demande » des traites orientale et atlantique a amplifié ce phénomène et donné naissance à un commerce : certains royaumes africains se sont considérablement enrichis et développés en vendant des esclaves capturés dans d'autres tribus. Cette traite « interne » est évidemment difficile à établir. Les études historiques sur ce point ne font que commencer.

L'intrication de la traite atlantique avec les traite arabe et africaine n'est pas innocente. Les rapports entre la France et l'Afrique noire se sont construits dans la schizophrénie, tant le fait français en Afrique a suscité autant de désir et de fascination que de ressentiment et de répulsion.

Soyons clairs : la colonisation a abouti à un développement du racisme et ce racisme a principalement nourri la rancoeur des colonisés. Les humiliations subies par les Africains sous l’administration coloniale française ont certainement contribué, plus que les violences extrêmes de la conquête ou les diverses formes d’exploitation et de spoliation, à la colère des offensés.

Reste que la décolonisation a échoué. Et l'écart qui s'accroît entre les pays développés et les autres conduit les victimes de l'histoire à y rechercher l'origine de leurs malheurs actuels. « Le colonialisme est mère de tous les vices », affirmaient, en 2001, les dirigeants des pays du sud réunis à Durban pour obtenir des réparations de l'Occident. La réalité, c’est qu’une majorité des anciens colonisés ne désire aujourd’hui qu'une chose : venir travailler et s'installer dans le pays de leurs anciens colonisateurs. Et pour cause. Si les dirigeants africains ont su conquérir l'indépendance, ils n'ont pu assurer le développement ni garantir les libertés. L’histoire n'explique pas tout. En Asie du Sud-Est, des pays ex-colonisés, sans ressources particulières, sont bien parvenus à rejoindre le club fermé des pays développés.


René Ladouceur
rene.ladouceur@wanadoo.fr

Septembre 2007

*Calmann-Lévy, 2007 (ISBN 9782702137611)
**C’est avec ce roman, en réalité un violent réquisitoire contre la colonisation en Afrique, que René Maran a obtenu le Prix Goncourt, en 1921 (Albin Michel)
*** Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2004, 468 p.



Du même auteur, sur blada.com :

Juillet 2007 : Un si doux ennui
Janvier 2007 : Entre histoire et mémoire
Octobre 2006 : Notre grand voisin

Juillet 2006 : Le Foot-patriotisme
Juillet 2006 : Sous l'agression, la dignité
Mai 2006 : Adieu l'ami (un hommage à Jerry René-Corail)
Mars 2006 : Lettre ouverte à René Maran
Mars 2006 : Non à la régression
Janvier 2006 : Vive le débat


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