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Le 15 octobre 1987 : le rêve africain assassiné de Thomas Sankara
Par Lawoetey-Pierre AJAVON

Pierre Lawoetey AJAVON est Docteur 3ème cycle en Ethnologie, et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, il est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées.
Son dernier ouvrage  « Traite et esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » est paru aux éditions Ménaibuc à Paris en 2005.

Vingt-trois ans après l’assassinat de Thomas Isidore SANKARA, éphémère Président de la République du Burkina Faso (ex-Haute Volta), sa mémoire autant que ses idées sont encore vivaces, particulièrement en ce jour anniversaire de son odieux et lâche assassinat, le 15 octobre 1987, par ses anciens compagnons d’armes du Conseil National de la Révolution. Selon plusieurs témoignages et enquêtes indépendantes et dignes de foi (« Que sait-on sur l’assassinat de Thomas SANKARA » de Bruno JAFFRE), celui que l’on surnomma le « Che Africain » a été victime d’un vaste complot international impliquant les réseaux françafricains, la CIA, la Côte d’Ivoire, la Lybie qui ont sous-traité leur crime à des officiers Burkinabé. Un documentaire de la RAI (la télévision italienne) n’hésitera pas à mettre directement en cause l’actuel Président du Burkina, Blaise COMPAORE, ami intime de SANKARA.

En attendant les conclusions définitives et complètes des enquêtes réclamées par l’ONU, le mot d’ordre de ralliement maintes fois réitéré sur la toile par plusieurs associations panafricaines et des Droits de l’Homme est : « Justice pour Thomas SANKARA ».

Mais, on peut se demander pourquoi l’évocation du seul nom de Thomas SANKARA suscite tant de respect, d’intérêt, d’admiration, de sympathie, voire de curiosité aux quatre coins du monde. Visiblement, c’est moins pour la place qu’occupe dans le concert des nations le Burkina Faso, deuxième exportateur mondial de diamant, et pourtant considéré comme l’un des plus pauvres de la planète - même si ce dernier constitue au plan géopolitique la pièce maîtresse du dispositif françafricain dans la sous-région – que par la personnalité emblématique de celui qui avait l’habitude de ponctuer la fin de tous ses discours par : « La patrie ou la mort, nous vaincrons ».

En revisitant les dizaines d’ouvrages, les travaux de recherches universitaires et les documentaires consacrés à Thomas SANKARA, surtout ses discours, dont celui historique prononcé devant l’Assemblée Générale des Nations Unies le 4 Octobre 1984, je saisis mieux à présent la portée symbolique de son exhortation lorsque, profitant d’un court séjour dans le Sud-Ouest de la France au milieu des années soixante-dix, et bravant le règlement de l’armée, lui, un officier avait rencontré ses « frères » africains de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et leur avait tenu des propos politiques. A l’époque, il fit une forte impression sur la plupart d’entre nous. Aussi, malgré le temps écoulé, son maître mot résonne toujours dans les oreilles de mes camarades qui s’en souviennent encore aujourd’hui : « Nous avons un devoir envers l’Afrique

Présidant plus tard aux destinées du Burkina Faso, Thomas SANKARA a commencé à appliquer cette sorte de viatique qu’il nous recommanda - d’abord à lui-même - et surtout, à l’intégrer dans sa démarche et son projet politique, au-delà même des frontières de l’ex Haute-Volta dont il commença à changer le nom issu de la colonisation, pour lui en attribuer un nouveau : le Burkina Faso, qui signifie « la patrie des hommes intègres » , combinaison lexicale de trois langues du pays : le Moore, le Jula et le Fulbe.
 

Des réformes structurelles sur tous les plans

Joignant le geste à la parole, SANKARA entreprendra toute une série de réformes tous azimuts, aux plans politique, institutionnel, économique, pour le mieux-être de ses concitoyens.
Il prôna ainsi et mit en pratique une politique d’autosuffisance alimentaire qui permit au Burkina de résorber un déficit de 200.000 tonnes de céréales ,pour au final enrayer la faim au bout de quatre ans. Rappelons ici que sur une population d’un peu plus de 7 millions d’habitants que compte le Burkina Faso, près de 6 millions sont des paysans et des paysannes : chiffres donnés par SANKARA lui-même à la tribune de L’ONU en 1984, et revus depuis à la hausse. Parallèlement, la lutte contre la faim s’est accompagnée d’une vaste réforme agraire, allant de la distribution des terres aux paysans à la promotion de la production et de la consommation des produits locaux, en passant par la suppression des impôts agricoles. Subséquemment à l’augmentation des prix au profit des producteurs, son leitmotiv : consommer local, se traduira par l’adoption du « dan faso », tenue locale fabriquée par des artisans du pays, à partir de la cotonnade burkinabè. La position géographique défavorable du Burkina, constamment menacé par l’avancée du désert sahélien fera partie des préoccupations essentielles de SANKARA. D’où une immense mobilisation sans précédent, en faveur des campagnes de reboisement.

A l’actif du pouvoir sankariste : l’éradication de la corruption endémique du Burkina, avec la possibilité de traduire devant les tribunaux tous les détourneurs professionnels des fonds publics, la réduction du train de vie des élites politiques ainsi que celui de l’administration, l’interdiction de l’usage des voitures de fonction à des fins personnelles, et la vente des Mercedes gouvernementales trop onéreuses pour des Renault 5 comme voitures de fonction, la diminution des salaires des ministres afin de les ramener à l’équivalent du Smic en France, sinon moins.

Mais, c’est surtout dans le domaine socio-sanitaire que les effets des réformes de la politique volontariste de « l’homme intègre » furent les plus significatifs : il entreprit ainsi prioritairement de libérer la femme burkinabè, en menant une lutte acharnée contre l’excision des jeunes filles, mais aussi en réglementant la polygamie. La participation des femmes à la vie politique et publique fut également encouragée. SANKARA donna lui-même l’exemple en nommant plusieurs femmes ministres dans son gouvernement. Comme on pouvait s’y attendre, toutes ces mesures n’étaient pas du goût des tenants de la coutume, en particulier des adeptes de la religion islamique qui voyaient dans ces réformes une atteinte à la tradition coranique, ainsi qu’à leur influence et à leur pouvoir sur les couches sociales. Face donc à ces irrédentistes et aux conservateurs de tous genres, SANKARA, à défaut d’éradiquer complètement le fléau de l’excision, se résoudra finalement à éduquer et à former les « exciseuses », en leur apprenant la stérilisation des couteaux, afin d’éviter les nombreux décès consécutifs à cette pratique.

De même, la campagne de vaccination initiée par SANKARA jusque dans les hameaux les plus reculés du Burkina, ainsi que la multiplication des constructions d’hôpitaux et de centres de santé primaire vont favoriser la baisse de la mortalité infantile (180 pour mille), dans un pays où l’espérance de vie, limitée à 40 ans, était l’une des plus faibles du continent. Que dire du programme d’alphabétisation confié à l’Institut National d’Alphabétisation des Adultes, et qui s’était fixé comme objectif d’accompagner plus de 5,5 millions de Burkinabé, dont 30.000 agriculteurs dans les langues nationales ?

Si le court règne de SANKARA (4 années de pouvoir) ne lui a pas laissé le temps nécessaire pour mener à terme son ambitieux programme économique politique et social , il faut reconnaître que certaines erreurs ont été également commises, erreurs qui seront officiellement reconnues par SANKARA lui-même lors du 4ème anniversaire de la Révolution où il décida de « rectifier » certains aspects de son programme un peu trop timorés. Il dira à cette occasion : « Je préfère faire un pas avec le peuple, que cent pas sans le peuple ». C’est surtout dans les réformes scolaires et éducatives que les erreurs furent patentes. Mais, face au juste constat de SANKARA sur la nécessité de débarrasser le système éducatif burkinabè de ses vieilles scories coloniales, eu égard à ses contenus culturellement aliénants et en déphasage avec les réalités africaines, il reste que cette réforme a lourdement pâti de son impréparation, de même que de son caractère hâtif et par trop directif, comme le remplacement de 2 600 instituteurs par des éléments peu qualifiés (lire à ce propos, l’article de Géraldine André « Réitération révolutionnaire du paradigme école, langues et cultures locales et développement par Thomas SANKARA » dans les Cahiers d’Etudes Africaines, 186, 2007). A contrario, on ne pouvait concurremment que se féliciter de l’accroissement des infrastructures scolaires, comme l’augmentation de 24% des classes primaires en moins d’un an et la baisse drastique des frais d’inscription qui alourdissaient le budget des familles paysannes.

Par ailleurs, on remarquera surtout que la vision de Thomas SANKARA ne se limite pas seulement à son pays. Ainsi ses chevaux de bataille, entre autres, seront la dénonciation du néocolonialisme, de l’Apartheid de l’époque, et du poids de la dette des pays pauvres, suite à la dictature des institutions de Bretton Woods, dont le FMI, auquel il avait fermement tenu tête malgré les pressions de cet organisme relayées par la France et les Etats-Unis .On se souviendra à ce propos de son célèbre cri lors d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba : « Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre l’avion et aller à la Banque Mondiale pour payer… ».

Dès lors, on comprend pourquoi la personnalité et les discours de SANKARA transcendent les frontières de son pays. A l’intérieur de celui-ci, comme sur le continent africain, ses propos se donnaient à voir et à interpréter comme l’incarnation d’un nouveau style et d’une nouvelle forme de gouvernance. L’écho porté par ses paroles, et surtout par ses actes, était tout autant estampillé d’un sincère et pragmatique élan révolutionnaire, qu’il traduisait une réelle volonté de trouver des solutions endogènes aux problèmes africains, et de libérer les peuples de la séculaire domination politique et économique de l’Occident. « L’esclave, aimait à répéter SANKARA, répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir ». De ce fait, il s’inscrivait d’emblée dans la démarche initiée par ses devanciers et non moins aînés, tels que Kwame N’KRUMAH du Ghana, et Patrice Emery LUMUMBA du Congo, pour ne citer qu’eux.

Aussi, l’aura dont jouissait SANKARA auprès des jeunes en Afrique comme dans le Tiers-Monde en général, la justesse de son combat, sa dénonciation des exploiteurs et dominateurs domestiques et extérieurs, ont fini par lui valoir des inimitiés. Mais, finalement, son assassinat viendra corroborer le vieux précepte mina du Sud-Togo : « Avant d’aller chercher l’assassin d’un homme beaucoup plus loin, il faut commencer par regarder dans son entourage immédiat. »

En ce cinquantenaire des « indépendances-dépendantes » de la plupart des pays africains, il y a lieu de revisiter la vie et l’œuvre de Thomas SANKARA. Non pas pour nourrir une quelconque nostalgie révolutionnaire, voire une sorte de fétichisme idéologique, mais de tirer les leçons du sankarisme, surtout de ses limites, afin de parachever son projet. SANKARA ne disait-il pas souvent « on peut tuer SANKARA, mais des milliers de SANKARA s’élèveront » ? Au -delà des milliers hommages qui sont rendus depuis le 15 octobre 2010 dans le monde entier au grand panafricaniste Burkinabè, Thomas Isidore SANKARA, hommages allant de l’écolo-militant José BOVÉ, à l’écrivain Didier DAENINCKX en passant par l’élu municipal parisien Alain LIPIEZ et le député européen Luigi de MAGISTRIS (liste non exhaustive), le plus bel hommage que les Africains eux-mêmes puissent rendre au héros du 4 août 1983, comme je l’écrivais dans mon message de soutien à madame veuve Myriam SANKARA il y a quelques jours, c’est de défendre les acquis de cette date et de continuer avec vigilance le combat. Certes, celui-ci sera difficile, long et semé d’embûches, car parmi nous-mêmes, nombreux sont ceux qui sont toujours prêts, à l’instar des valets locaux, et assassins de son époux, à vendre à leurs maîtres revanchards et impénitents, âme et conscience, pour une calebasse de sorgho ou un bol de dolo…

Ce qui est sûr c’est que ceux qui ont cru briser le rêve africain de SANKARA, un certain 15 octobre 1987, n’ont fait que renforcer la détermination des héritiers du sankarisme, car son combat était juste.

« Aux yeux des insensés, nous rappelait Boureima Ouedraogo, le juste a paru mourir. Mais les justes ne meurent jamais. Ils hantent les esprits et la vie tout entière des insensés
 

Lawoetey-Pierre AJAVON

Octobre 2010
 

Les images de Thomas Sankara qui illustrent cet article sont extraites du site dédié à sa mémoire : www.thomassankara.net.


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