Les propos du pape Benoît XVI en Afrique sur l'utilisation du préservatif :
incitation de crime contre l'humanité
par Lawoetey-Pierre AJAVON
Lawoetey-Pierre AJAVON est enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, Docteur Troisième Cycle en Ethnologie, et Docteur d'Etat en Anthropologie des Sociétés Orales. Spécialiste des transformations et traditions culturelles africaines ainsi que de l'histoire de l'esclavage en Afrique, il a publié : « Esclavage et Traite des Noirs : quelle responsabilité africaine » (Editions Menaibuc, Paris, 2006). Il s'apprête à publier prochainement un ouvrage sur « Le rôle des religions africaines dans la libération des Esclaves ».
Lawoetey-Pierre AJAVON est actuellement professeur d'histoire au Lycée de Mahina et chargé de cours à l'Université de la Polynésie Française.
Plus de 500 ans après la bulle pontificale d’appel de Nicolas V à la « Guerre Sainte » contre les Nègres, véritable coup d’envoi de la Traite Négrière Transatlantique le 8 janvier 1454, voilà que cette fois-ci, en terre africaine même, un autre successeur de l’apôtre Pierre proclame urbi et orbi que « l’utilisation du préservatif aggraverait le problème du sida », récidivant ainsi dans un nouveau crime contre les Africains.
Le pape est dans son rôle et il n’appartient pas à l’Eglise d’encourager une pratique sexuelle licencieuse en faisant la promotion du préservatif, nous dit-on.
Soit. Mais est-il encore dans son rôle lorsqu’il abandonne sa posture de pasteur de l’Eglise pour s’aventurer sur un terrain dont les réalités semblent lui échapper, le rendant surtout autiste et hermétique au dramatique sort de ses contemporains ? Ceux qui prennent ainsi la défense du pape ont-ils suffisamment pris la mesure et l’ampleur de la pandémie du sida qui affecte près de 67% des habitants du continent le plus touché de la planète ?
Dès lors, on peut aisément comprendre tous ces tollés, indignations, condamnations venant de toutes parts et stigmatisant les propos de Benoît XVI comme : « irresponsables au regard des enjeux », « faux et dangereux », « un message de mort envoyé aux Africains », « régressifs »… Une parlementaire socialiste belge n’a pas hésité à proposer à ses collègues du Sénat une résolution assimilant les paroles du Pape à « un crime contre l’humanité ».
Pourquoi donc ces réactions et condamnations en chaîne émanant des milieux scientifiques, associatifs, politiques, et autres ?
Si l’enjeu du sida n’était pas si préoccupant en Afrique, on serait tenté de remiser comme bien d’autres sommations pontificales sur la pilule, l’avortement, le mariage des prêtres homosexuels, la théologie de la libération, l’euthanasie, etc. aux placards des sous-sols du Vatican.
Or, nous parlons ici d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont déjà cruellement payé ou continuent encore de payer un lourd tribut à cette maladie qui, depuis sa découverte au début des années 80, a décimé près du quart des populations dont la majorité des cadres) de l’Afrique subsaharienne, centrale, australe et orientale, zones les plus touchées par le VIH/SIDA. Pour preuve, les chiffres sont à la hausse : en Afrique subsaharienne par exemple, on est passé de 20,4 millions de diffusion de la maladie en 2001, à 22 millions en 2007, selon les sources de l’ONU/SIDA. Telle est la réalité qui tranche outrageusement avec le discours du pape.
Par ailleurs, la problématique du sida a singulièrement occulté d’autres propos tout aussi rétrogrades tenus en Angola où le Souverain Pontife remettait implicitement en cause le « Protocole de Maputo » adopté par l’Union Africaine sur le droit des femmes en Afrique, en particulier dans son article 14, qui appelle les gouvernements à « autoriser l’avortement médicalisé, en cas de viol, d’agression sexuelle d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus ». Si l’Eglise s’est de tout temps opposée à l’avortement thérapeutique, en parlant « d’ironie amère de ceux qui promeuvent l’avortement au rang des soins de la santé des mamans… », c’est la première fois que le pape se prononce aussi frontalement et explicitement sur cette question, portant ainsi atteinte à la conquête des droits et à l’émancipation de la femme africaine.
La morale chrétienne à l’épreuve de la réalité du SIDA en Afrique
Pour qui connaît la position de l’Eglise Catholique sur les problèmes sociétaux auxquels est confronté le monde moderne, les propos de Benoît XVI ne peuvent surprendre. En réalité, on n'en attendait pas d’avantage de celui qui, avant d’être élu à son poste actuel en 2005, occupait la fonction de Chef de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sous son prédécesseur, Jean-Paul II. Autrement dit, le fidèle gardien de l’une des officines des plus dogmatiques et les plus conservatrices du Catholicisme. Ne confessait-il pas lui-même récemment qu’il avait été surpris par sa propre élection ?
On se souviendra surtout de lui comme d’un pape très conservateur (même si par nature tous les papes le sont), qui écrivait déjà dans des revues du mouvement américain tout aussi très conservateur, « First Things » dirigé par John Neuhaus, un proche de l’ancienne administration Reagan et de Bush père. C’est dire que le « Panzer Kardinal » comme l’ont surnommé certains journaux transalpins, ancien militant des Jeunesses hitlériennes, est loin d’être un fervent partisan des réformes souhaitées par une bonne partie du clergé catholique, notamment, celui des pays du Sud.
Sans doute, la nouvelle saillie de Benoît XVI serait-elle passée inaperçue si « ce pape ne commençait pas à poser un vrai problème », pour reprendre la phrase de l’ancien premier ministre, le peu loquace Alain Juppé qui a dû sortir de sa réserve habituelle. La goutte d’eau africaine qui a fait déborder le vase ? Sûrement.
C’est que, depuis quelques temps, les esclandres pontificaux ne cessent de s’accumuler : d’abord, la réintégration au sein de l’Eglise de Rome de quatre prélats « traditionnalistes », mais surtout négationnistes, comme vient de le révéler les propos de l’un d’eux, Richard Williamson, au sujet du déni de la Shoa. Propos tardivement et mollement condamnés par le Pape.
Ensuite, la confirmation par le Vatican de Monseigneur Tony Anatrella dans ses fonctions de Consulteur du Conseil Pontifical de la Famille. Outre le fait que ce dernier est connu pour son homophobie avérée et son opposition à la prêtrise des homosexuels, il a surtout défrayé les chroniques dans sa mise en examen en 2006 par la brigade des mineurs pour abus sexuels sur un ancien séminariste, sous prétexte de « guérir » celui-ci de son homosexualité par des séances de « travail corporel ».
S’ajoute enfin à ces deux cas, l’avortement d’une jeune brésilienne de 9 ans, violée par son propre beau-père et dont la mère et les médecins avorteurs furent excommuniés par l’Evêque de Récife, à l’exception du beau-père incestueux. Excommunication tout à fait dans la logique du Vatican opposé à l’avortement.
En s’adressant donc à ses ouailles du continent noir dans les termes que l’on sait, Benoît XVI n’ignore pas qu’il évolue dans une partie du monde où ses thèses sont acquises d’avance, l’un des rares continents en dehors de l’Amérique Latine où l’ordination des prêtres est en augmentation sensible, au moment où les autres connaissent une profonde crise de vocation.
Le discours africain du pape a certainement un double objectif : d’abord, ramener « les brebis égarées » dans le droit chemin car, l’influence traditionnelle de l’Eglise Catholique (et Protestante d’ailleurs) est de plus en plus soumise à rude épreuve par la concurrence de nombreuses religions millénaristes et surtout consuméristes, d’obédience nord américaine et très souvent « africanisées ».
Aussi, dans leur quête d’un ici et maintenant toujours prometteurs, au lieu d’un hypothétique ailleurs souvent béatifié par l’Eglise Catholique en particulier, les Africains en rupture de ban avec Rome semblent bien s’accommoder de ces religions syncrétiques plus proches de leurs réalités quotidiennes. Ces nouveaux marchands d’illusion, pasteurs ou autoproclamés tels qui dirigent ces nouvelles Eglises, plutôt experts en escroquerie en tous genres, n’hésitent surtout pas à puiser dans le patrimoine culturel et traditionnel africain afin de combler les attentes morales, psychologiques et matérielles des populations dominées par la crainte et l’incertitude du lendemain, et au sein lesquelles la paupérisation ne cesse de gagner du terrain.
Le Souverain Pontife a ensuite conscience de toucher à l’affectif, à la mystique religieuse et à la superstition (ces deux derniers sentiments pouvant sans aucun complexe cohabiter dans les sociétés africaines), d’une frange importante des Africains, notamment ceux qui, très conservateurs, s’opposent aux pratiques sexuelles importées d’un « Occident pervers », coupable de toutes les transformations inquiétantes de leurs sociétés : homosexualité, drogue, délinquance juvénile… sida. Rappelons ici l’influence considérable du « Renouveau Charismatique » et de toutes ses déclinaisons, ainsi que de « l’Opus Dei », très vivace parmi certaines élites politico-économiques du continent.
Sur le terrain, nombre de fidèles plus ou moins réceptifs aux déclarations du pape, ces « enfants prodigues » à qui était certainement destiné ce discours, ne manqueront pas de se laisser séduire par le conservatisme du Chef de l’Eglise. Quelle lecture en feront-ils? On peut facilement le deviner.
Sans parler également de tous ceux qui, par atavisme ou attachement aux croyances ancestrales, ont toujours rejeté l’utilisation du condom, au nom d’un principe fondé sur une antique superstition professant l’incompatibilité d’un quelconque élément étranger (en l’occurrence le préservatif) avec le sexe d’un homme ou d’une femme.
Dans ces conditions, au regard du danger potentiel de contamination auxquels sont exposées des populations qui n’ont pas souvent le réflexe automatique du condom pour les raisons que nous venons d’indiquer, on peut comprendre les réactions de désapprobation et d’indignation qui ont suivi l’annonce du pape, aussi bien chez certains catholiques que chez des laïcs engagés.
De même, quelle répercussion aura ce message sur les populations plus ou moins urbanisées, essentiellement des cadres, (chrétiens ou non) aux mœurs sexuels « libérés », et dont les hommes ont un goût assez prononcé pour les « deuxième ou troisième bureaux » (comprenez ici les maîtresses), sans aucun sentiment de culpabilité chrétienne ?
Dans cette même logique, la croyance populaire dans certains milieux peu éduqués et donc peu informés, tendrait à véhiculer au début, l’idée d’un VIH/SIDA, « maladie exclusivement de Blancs ».
Que dire enfin de ceux qui, parodiant le sigle de la pandémie du SIDA, l’ont naïvement et inconsciemment baptisée « Syndrome Imaginaire pour Décourager les Amoureux » ? (on lira sur ce sujet, mon article intitulé « Le sida au Togo », in Revue Politique Africaine, numéro 50, 1993, pp.125-129).
On voit donc bien le décalage entre la doctrine de l’Eglise et certains comportements à risque, autrement dit sa déconnexion par rapport aux réalités du terrain. Mais on a surtout le sentiment que Benoît XVI, non seulement ignore ces réalités, mais surtout qu’il ne vit pas sur la même planète que la majorité des fidèles malheureusement confrontée aux ravages du sida. Reste à savoir si, chrétiens ou non, ceux-là sont prêts à adhérer à la théologie austère et obscurantiste romaine, au péril de leur vie.
La meilleure réplique au pape viendra d’ailleurs d’Alain Fogué, responsable d’une ONG camerounaise (Mocpat) qui plaide pour l’accès au traitement au Cameroun, pays d’où est partie toute la polémique : « C’est la consternation. Le pape vit-il au XXIème siècle ? Les gens ne suivront pas ce que le Pape dit. Il vit au ciel et nous sur terre…Qu’il le veuille ou non, sur 100 catholiques 99 utilisent aujourd’hui le préservatif. Le Pape doit savoir que la chair est faible. Le Pape ne savait-il pas en arrivant au Cameroun que les personnes séropositives y représentent un nombre important de la population ? »
Et si quelques catholiques choqués et outrés par les déclarations contre productives du pape adoptent depuis lors un profil bas - certains allant jusqu’à demander leur dé baptême -, c’est que, parmi les nombreux organismes qui s’occupent des malades du sida en Afrique, on compte un quart de structures catholiques, comme les communautés San’Egidio, Saint-Camille de Leillis, ou les Missionnaires de la Charité en Afrique Australe. Ce sont donc toutes ces années de travail et d’investissement auprès des séropositifs qui risquent d’être remises en cause ou sapées.
Pour toutes ces raisons, le discours du Pape pourrait conforter certaines catégories de personnes dans leur conviction ou leur opposition traditionnelle à l’utilisation du préservatif.
Considérées comme paroles d’Evangile par des masses peu avisées, mal ou peu informées des réalités de la maladie, et dont certains fidèles sont bien encadrés par un clergé local influent, les déclarations du Chef de l’Eglise peuvent tenir lieu de prescription par excellence ou résonner comme un encouragement à forniquer sans aucune précaution.
De là à parler « d’appel ou d’incitation au meurtre, de signal de mort envoyé au Africains » il n’y a qu’un pas allègrement franchissable car, « à cause de cette déclaration, ce sont des millions de gens qui vont être contaminés », comme le soulignait à juste raison un représentant de l’association Médecins du Monde.
Alors, effectivement parler d’incitation intentionnelle de crime contre l’humanité n’est pas une accusation fortuite. Mais, ne nous leurrons pas. Couvert par l’immunité, en sa qualité de Chef de l’Etat du Vatican, aucune poursuite ne sera engagée contre le pape pour non assistance à peuples en danger. Néanmoins, espérons qu’à défaut d’un Tribunal des hommes, il y aura quelque part un Jugement des cieux.
Propos blasphématoires, crime de lèse-pontifical, diront encore les défenseurs du pape qui liront cet article. Mais que vaudront mes modestes dénonciations, au demeurant sans conséquences, face à l’hécatombe qui pourrait emporter des millions et des millions d’Africains, si comble de malheur, ce gravissime message de Benoît XVI était pris au pied de la lettre ?
Par ailleurs, que dire des aberrations et insanités ci-après lues sur un site catholique prenant la défense du pape: « …En Afrique, on vend des préservatifs contrefaits ou usagés sur les marchés ; car il arrive que les copains se repassent des préservatifs ou qu’on en réutilise des usagés ».
Dans la droite ligne de ceux du Pape, ces propos outrageants ne sont ni plus ni moins qu’une insulte de plus qui tend à infantiliser les Africains « ignorants et attardés ». Les acteurs du terrain dont les associations de prévention de la pandémie qui distribuent gratuitement des préservatifs, même dans les hameaux les plus reculés, peuvent témoigner du contraire. Qui pourrait imaginer encore, en ce début de XXIème siècle, de telles pratiques chez les Africains, avec toutes les campagnes d’information et de prévention sur la maladie ?
D’ailleurs, l’Eglise prônant l’abstinence sexuelle et s’opposant à l’usage du préservatif, on est en droit de se demander de quoi s’occupe-elle en dissertant sur un sujet qu’elle connaît mal ? Ahurissante également est cette contre-vérité scientifique proférée par Pedro José Maria Castellvi, président de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques : « Nous avons suffisamment de données pour affirmer qu’une cause non négligeable de l’infertilité masculine (marquée par une baisse constante du nombre de spermatozoïdes chez l’homme) en Occident est la pollution environnementale provoquée par la pilule ». En somme, la pilule contraceptive aurait « des effets dévastateurs sur l’environnement ». On attend toujours le démenti de la communauté scientifique qui, malheureusement est restée muette face à cette déclaration.
Enfin, sans toutefois chercher à dédouaner le pape pour ses thèses rétrogrades et irréalistes, il faut avouer qu’il a contribué lui-même à brouiller une partie importante de son discours et à la rendre inaudible. Comme pour se rattraper de sa « gaffe » sur l’utilisation du préservatif, et désamorcer la bombe provoquée par ses propos dans l’avion qui le transportait au Cameroun, il a cru bon de « rectifier le tir » en dénonçant la pauvreté en Afrique et ceux qui l’organisent.
Or, Benoît XVI eût été mieux inspiré de focaliser prioritairement sur le quotidien des Africains survivant difficilement à la crise mondiale, au lieu de brandir en avant-première ses déconcertantes positions dogmatiques à mille années-lumière des réalités du sida sur le continent. Sans doute la polémique eût été aussi moins accentuée et moins médiatisée. Mais le mal était déjà consommé.
Laïc impénitent, je ne suis pas un adepte du pape, ni de ses thèses radicalement dogmatiques. Mais soyons juste avec lui. Ne lui rendons pas ce qui ne lui appartient pas (son discours criminel sur l’utilisation du préservatif) ; en revanche, rendons lui ce qui lui appartient : aussi, avait-il eu tort de dénoncer ceux qui pillent et maintiennent les guerres en Afrique ?
Il est regrettable que dans ce tohu-bohu médiatique, l’on n’ait pas suffisamment entendu cette déclaration tardive de Benoît XVI, propos qui auraient fait sans doute retourner dans sa tombe l’Evêque brésilien Dom Helder Camara, Prix Nobel de la Paix et l’un des précurseurs de la Théologie de la Libération : « … De connivence avec des hommes et femmes du continent africain, des forces internationales exploitent cette misère du coeur humain qui n’est pas spécifique aux sociétés africaines. Elles fomentent des guerres pour écouler des armes. Elles soutiennent des pouvoirs politiques irrespectueux des droits humains et des principes démocratiques pour garantir en contrepartie leurs avantages économiques (exploitation des ressources naturelles, acquisition des marchés importants, etc.). Elles menacent de déstabiliser les nations et d’éliminer les personnes qui veulent s’émanciper de leur tutelle… »
Dante n’écrivait- il pas, il y a quelques siècles, dans La Divine Comédie que « l’’enfer est pavé de bonnes intentions » ?
Lawoetey-Pierre AJAVON
lawoetey@voila.fr
Juin 2009
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