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Anti-discours sur la coopération régionale Brésil-Guyane
par Gérard Police

Afin que nul n’en ignore, et en cette époque de carnaval et d’ardeurs lulophiles et sarkophiles idéalement choisie pour l’amusement de nos populations, quelques remarques corrosives et impertinentes s’imposent en antidote aux hors-d’œuvre préliminaires à la visite de notre souverain Nicolas Ier.

Être d’emblée excessif, caricatural, caustique, outrancier, provocateur est, d’une part un simple effet d’optique, d’autre part une salutaire catharsis. L’« objectivité » d’une affirmation est une illusion : il n’y a que des différences dans les registres du discours, dans le style de lan-gage utilisé. Le réel, c’est ce qu’on dit et la façon dont on le dit. Le langage politique et diplomatique est un art de ne pas dire clairement les choses, et surtout pas ce qu’il importe de savoir. Le discours savant et « scientifique », quant à lui, est toujours châtré : il faut respecter les normes, les formes, les règles…

Les citoyens de Guyane sont en permanence obligés d’ingurgiter des doses chevalines de discours institutionnel, c’est-à-dire rien moins que des histoires de Compère Lapin. Qu’on nous autorise donc, de temps à autre, en guise de compensation (insuffisante) à produire un discours inversé.

Le fait que, jusqu’à présent, les seuls discours connus sur la coopération régionale soient de type institutionnel et officiel est la première attestation qu’on l’aborde biaisée. Un autre type de discours, libre, critique, lucide — appelons-le discours citoyen — est tout aussi légitime, et son coefficient de justesse plutôt supérieur.

Allons droit au but : la coopération régionale entre Brésil et Guyane est inévitable et inscrite dans l’histoire ; mais c’est un marché de dupes. Le Brésil a tout à y gagner. La Guyane ? Des miettes.

La partie brésilienne a derrière elle des siècles d’expansion et de colonisation sauvage, avec un savoir-faire longuement acquis. Depuis qu’ils ont remporté le contentieux diplomatique de l’Amapá en 1900, nous sommes labellisés comme les grands benêts de l’Amazonie, les pi-geons à plumer, les moutons à se faire tondre la laine sur le dos, les nigauds qui gobent tous les tours de prestidigitation.

Le Brésil est lancé à la conquête de la Guyane. Sur tous les fronts sauf le militaire. Cela commence à se sentir et à se dire ici, confusément, intuitivement, à générer du malaise diffus. Mais le plus préoccupant est la cécité de nos dirigeants et responsables : pour certains par « raison d’État » économique et politique ; pour d’autres par ignorance. Et le Brésil aurait tort de se gêner face à l’atonie et aux contradictions de ses interlocuteurs.

En septembre 2007, lors du 4ème Séminaire Guyanais de Coopération, au sujet du pont sur l’Oyapock, les responsables guyanais, fidèles à leur repli victimaire et retranchés derrière leur vision guyano-guyanaise du monde, se sont laissés manipuler par un discours bien rodé et quelques power-point. Les réalisations et projets de développement de l’Amapá, habilement mis en scène, ont été brandis comme une démonstration de compétence, de sérieux et de projection dans l’avenir. La Guyane semblait anéantie. Il était pourtant manifeste qu’il n’y avait pas de quoi : le côté guyanais raisonnait en termes de pont avec son environnement immédiat, alors que le côté brésilien mettait en scène une grande partie de tout l’État d’Amapá.

La Guyane était alors fondée à riposter et imposer un KO technique à son adversaire-partenaire en étalant ses atouts, impressionnants pour un pays de 200 000 habitants, et en particulier dans un domaine soigneusement occulté par les Brésiliens, l’Indice de Développement Humain. Personne, bien entendu, n’a eu l’impertience de leur demander pourquoi leurs concitoyens fuyaient leur pays en direction de la Guyane par dizaines de milliers ; pourquoi leurs institutions n’étaient pas capables d’offrir des systèmes de santé et d’éducation décents, des assistances et aides sociales dignes, un niveau de revenus moins honteux que ces 150 €uros de salaire minimum mensuel.

L’ultrapériphérie française se porte dix fois mieux que la périphérie brésilienne. Mais certains mandatés guyanais se refusent à l’assumer et le revendiquer, car c’est « français ». En oubliant que, comme la Guyane, l’Amapá fonctionne presque totalement sur fonds fédéraux, ses ressources propres étant très insuffisantes par rapport à ses besoins.

Le tour de passe-passe brésilien fonctionne avec une facilité telle qu’il est en effet difficile pour nos voisins de ne pas sourire — hors champ. D’autant que le masochisme ambiant ne manque pas de repasser en boucle le vieux clip de 1900. Face à tant de mortification et d’autocritique, le Brésil aurait tort de ne pas moucher une Guyane engluée dans sa mélancolie bovaryste. Parfaitement conscient, en haut lieu, des frustrations, fantasmes et modismes intellectuels à base anti-néo-coloniale qui obsèdent une certaine forme d’identité créole, notre voisin, ravi, accompagne en sourdine la partition guyaniste qui nous transforme en Chimène se pâmant pour un Rodrigo roublard.

Par exemple, avec le plus grand respect dû à sa personne et à sa fonction, demandons-nous si un consul (donc discours extrêmement institutionnalisé) du Brésil en Guyane croit lui-même ce qu’il dit en suggérant que le port de Santana, près de Macapá, à près de 1000 kilomè-tres de Cayenne (Lille-Marseille…) par une route surréaliste, pourrait « devenir le chemin naturel des exportations guyanaises » ? (France-Guyane, 21/09/2007).

A propos de pont, on sait — ou on devrait savoir — qu’il est totalement brésilien, à commencer par sa construction. La France s’est engagée à payer rubis sur l’ongle les factures (la moitié du prix total) qui lui seront présentées par le Brésil. Le carnaval des surfacturations, détournements et corruption généralisée a commencé. Soyez assurés, braves gens, que vos impôts sont déjà budgétisés par les cliques mafieuses qui règnent depuis toujours sur l’histoire et le développement de notre voisin.

Un marché de dupes, disions-nous…

La coopération régionale Brésil-Guyane, décapée de ses guirlandes verbeuses et des péripéties des microcosmes politiques, n’est rien d’autre qu’un sous-chapitre de la géopolitique brésilienne d’occupation et de contrôle de son vaste flanc nord-amazonien, théorisée et lancée par les généraux de la dictature (à partir de 1964) et poursuivie depuis sans défaillance : route périmétrale nord, projet Calha Norte, projets Sivam (Sistema de Vigilância da Amazônia) et Sipam (Sistema de Proteção da Amazônia - version civile du précédent), projet ARPA (Áreas Protegidas da Amazônia), etc. Même la chaîne de parcs nationaux qui court sur 3000 km depuis le parc des Tumucumaques en Amapá jusqu’au Roraima, sous prétexte de préoccupations écologiques et environnementales, y joue un rôle clé. On aura déjà compris, comme l’indiquaient des titres de la presse brésilienne, que le Parc Amazonien de Guyane, subtilement intégré à l’ensemble, « renforce la protection de l’Amazonie brésilienne » (Jornal do Amapá - 01/03/2007).

Mais le mieux est d’écouter Lula (autoproclamé en son for intérieur plus grand homme d’État brésilien depuis avril 1500, et qui prétend disputer les demi-finales du championnat du monde de cabotinage des chefs d’Etat avec Nicolas Sarkozy). Voici donc, traduit mot à mot, un article de source tout à fait autorisée (www.agenciabrasil.gov.br/noticias/2007/12/07), assez largement diffusé dans la presse brésilienne début décembre, au moment où la diplomatie française à Brasília recevait inopinément la proposition d’université binationale de la biodiversité :

« Nous devons dire que nous sommes les propriétaires de l’Amazonie », revendique Lula.
BRASILIA – A l’occasion du transfert de 3,8 millions d’hectares de terres de l’Union au bénéfice de l’Etat d’Amapa, le président Luis Inacio Lula da Silva a revendiqué que le Brésil dise qu’il est le propriétaire de l’Amazonie et qu’il a la capacité de s’occuper de ses ressources naturelles.
« Nous devons dire que nous sommes les propriétaires de l’Amazonie et que nous savons nous occuper de nos forêts, de notre eau ; nous n’avons pas besoin des conseils de qui que ce soit », a déclaré Lula. « Si nous montons un bon projet touristique, nous pouvons transformer cela en quelque chose de rentable pour cet Etat ».
Le président a mentionné avoir demandé au gouverneur Valdez Goes qu’il choisisse le parc le plus important de l’Etat pour le transformer en attraction touristique pour le monde entier. « Cela peut être fait en garantissant la préservation, mais aussi en créant une viabilité économique pour l’Etat et pour le soutien du PAC lui-même [Programme d’Accélération de la Croissance]. Il faut qu’il y ait par là-bas de petites auberges, des sentiers de randonnée. Je voyage dans le monde entier, je vois les gringos qui nous donnent des conseils sur notre Amazonie et je vois leur propre pays complètement chauve [de végétation], il n’y a rien ».
Lula a aussi parlé de la possibilité de construire dans l’Etat une université en commun avec la France. : « Je lui ai dit [au gouverneur] que Sarkosy [président français Nicolas Sarkozy] vient ici ; Chirac [l’ex-président Jacques Chirac] est venu avec mon prédécesseur et il ne s’est rien passé ; maintenant je n’irai là-bas que pour inaugurer la construction. Mais j’ai dit à Valdez, met tes gens à réfléchir sur l’affaire, nous pouvons construire ici dans cette région une université de la biodiversité binationale. On le peut, parce que ça fait chic pour la France de dire que, vous savez, la Guyane n’est pas française, elle est amazonienne ».
La Guyane française est administrée comme département d’outremer du pays européen et a une frontière avec le Brésil.
La visite du président français est prévue pour février.

La biodiversité, vague sur laquelle on se bouscule pour surfer, est un avatar du dispositif géopolitique. Espérons que les chercheurs soient assez décomplexés pour reconnaître qu’ils sont, comme tout le monde, instrumentalisés. Il y a quelque temps qu’on entend parler d’une université de l’Oyapock (un peu comme si Saint-Laurent du Maroni voulait la sienne). Par les vertus miraculeuses de la coopération régionale et de la biodiversité réunies, cela devient possible. Les experts, délégués, chargés de mission pondeurs d’idées ont décidé qu’au milieu des officines de trafics en tous genres des berges de l’Oyapock — concrètement ou symboliquement — officieraient les savants dans une mirobolante université binationale. Les Français font semblant de croire à une noble motivation scientifique, tandis que les Brésiliens poussent leurs pions conquérants.

Mitterrand avait, en son temps, dénoncé qu’en Guyane on lance des fusées sur fond de bidonvilles. Il faudra peut-être bientôt déplorer que, au cœur de ce far-west équatorial, on dépiaute doctement les végétaux et les bestioles sur fond de bordel.


Gérard Police
21 janvier 2008

Du même auteur, sur blada.com :

Mars 2007 : Boycotter le Brésil ?
Septembre 2007 : Un pont vers l'Enfer ?
Novembre 2007 : Chasse à l'homme..
Janvier 2008 : C'était le Dakar.

Gérard Police
Docteur en études brésiliennes, maître de conférences à l’Université des Antilles et de la Guyane (IES de la Guyane), Gérard Police est Guyanais depuis 1978, arpenteur du Brésil depuis cette date, en avion, en bus, en moto, à pied. Il y a connu les gens de tous les milieux, à l'exception des gangsters et trafiquants de drogue, précise-t-il. En tant que chercheur, il a travaillé en particulier sur la construction de l'identité afro-brésilienne et publié deux livres dans cette problématique : « La fête noire au Brésil - l'Afro-Brésilien et ses doubles », l'Harmattan, 1996, et « Quilombos dos Palmares - lectures sur un marronnage brésilien », Ibis Rouge 2003. Il a également participé à un ouvrage collectif, «
Connaître la Guyane d'aujourd'hui », coordonné par Serge Mam Lam Fouck, avec un article intitulé : « Fantasmes et réalités de l'invasion de la Guyane par le Brésil ».

 


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