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Jodla 06/07/10
Le reportage de FF
Pour tout l’or de Saint-Elie : pas encore l’épilogue

Le tribunal correctionnel de Cayenne a prononcé jeudi 1er juillet, vers 15 heures, des peines allant jusqu’à 2 ans ferme ou 3 ans de prison (dont 2 assortis du sursis) avec des amendes de 7 000 à 30 000 euros, en rendant son délibéré dans l’affaire dite « des commerçants » de Saint-Elie. Et si le président du tribunal a indiqué, ce jour-là, que les motivations du jugement ne seraient disponibles qu’à partir du mercredi 7 juillet, le tribunal semble avoir été moins réceptif aux plaidoiries des avocats qu’aux réquisitions du ministère public lequel, le 18 mai, avait demandé une peine maximale de 4 ans ferme et des peines de 5 ans de prison (dont 3 ferme). De source judiciaire, lundi 5 juillet, plusieurs personnes avaient déjà fait appel du jugement…

« Etant donné l’âge de madame Edina Monteiro Monteiro, on estime qu’elle peut quand même prendre sa retraite et éviter de continuer à travailler en lien avec l’orpaillage. » Ce sont d’abord ces mots un rien inhabituels, du président du tribunal, que l’on a retenus du délibéré du 1er juillet dernier dans cette affaire « des commerçants » de Saint-Elie. Le président, Eric Fournié, venait alors de fortement suggérer à Edina Monteiro Monteiro, 63 ans (accessoirement belle-mère de l’ancien chef de la compagnie de gendarmerie de Kourou de 2000 à 2003, Vincent Sciascia, qui a épousé l’une de ses filles) de se ranger des voitures. En effet, outre le fait de lui avoir asséné une peine de 2 ans de prison dont un ferme et une mise à l’épreuve de 5 ans, le tribunal lui a interdit « d’exercer une activité professionnelle de nature commerciale  » pendant toute la durée de cette mise à l’épreuve.

« Ma Dalton, aux yeux du parquet »

Edina Monteiro Monteiro, une figure de Saint-Elie avait été présentée de façon imagée le 18 mai dernier par son avocat Me Marcault-Derouard maniant, pour l’occasion, un second degré glissant au sujet de celle-ci, de sa fille et de deux de ses fils, tous poursuivis dans cette affaire : « Selon le langage du parquet, c’est le gang Monteiro Monteiro (…). Voilà donc les 4 gangsters que j’ai à défendre au tribunal dont le chef : ‘Ma Dalton’, aux yeux du parquet, 64 ans, 13 enfants, 8 toujours en vie, 34 petits-enfants, 7 arrière-petits-enfants est la première garimpeira de Guyane ! La seule qui, à 64 ans (le 20 décembre prochain, ndlr) est capable d’imposer sa loi à une meute d’orpailleurs tous plus illégaux les uns que les autres !  ».
L’avocat précisait qu’il traduisait là « sans aucune exagération, le raisonnement de l’accusation pour nous parler de Saint-Elie. Ce délire parquetier qui croit enfin sortir le dossier des dossiers, celui par lequel le bras armé de la République arrive pour faire enfin cesser l’orpaillage clandestin en Guyane ».

Orpailleurs sur un chantier en 2008 à Saint-Elie
(Photo FF)


En septembre 2009, La Semaine Guyanaise avait révélé que Edina Monteiro Monteiro avait déclaré, au cours de sa première audition dans cette affaire, en mars 2008, percevoir le RMI et posséder deux maisons au Brésil.

Le couple condamné pour « proxénétisme » a fait appel

Au total sur les 21 prévenus du dossier, dix-huit personnes ont été condamnées. Une quinzaine d’entre elles étaient à la tête de commerces de Saint-Elie ou travaillaient pour ceux-ci. Tous les commerçants poursuivis ont notamment été condamnés pour « complicité d’exploitations aurifères illicites par fourniture de moyen », en particulier du matériel d’orpaillage, de la nourriture ou des moyens de transport.

Deux des commerçants de Saint-Elie, Joseph Boulogne né sur l’île de Sainte-Lucie et sa compagne, Lofinette Damis, née en Haïti ont, de surcroît, été condamnés pour « proxénétisme ». Leur avocat, maître Tshefu nous a indiqué, vendredi 2 juillet, que le couple allait faire appel. Ce qui nous a été confirmé, lundi 5, de source judiciaire. De son côté, Me Marcault-Derouard, avocat de 5 personnes jugées coupables (les 4 membres de la famille Monteiro Monteiro et Carmita Moraes Cavalcante), indiquait vendredi 2 que « des appels seront certainement interjetés. Les peines sont disproportionnées. Nos critiques n’ont pas été entendues, notamment sur des manquements de procédure qui n’auraient pas dû être cautionnées par le tribunal ». L’avocat précisant toutefois qu’il préférait attendre d’avoir les motivations du jugement pour « pouvoir en dire davantage ».

« Début 2004, un rapport dénonce Saint-Elie
comme plaque tournante de l’orpaillage clandestin »

Les commerces s’étaient multipliés entre 1997 et 2008 à Saint-Elie, commune isolée du centre-nord de la Guyane, sans école ouverte, au centre de santé fermé, où l’eau et l’électricité ne sont distribuées que quelques heures par jour. Ces dernières années, son bourg était composé à plus de 90% d’étrangers illégaux et avait vu fleurir plusieurs hôtels-restaurants, 6 épiceries et deux bijouteries clandestines, pour une population variant de 300 personnes en semaine à plus de 800, le week-end, avec le renfort d’orpailleurs clandestins venus des sites en forêt. Dès lors, comment s’étonner qu’à plus de 3 heures de trajet du premier bureau de Poste, la monnaie locale y ait si longtemps été l’or et que le cours de ce métal jaune y était fixé par les commerçants ?

Un chantier d'orpaillage illégal en 2008 sur Saint-Elie
(photo FF)



Pourtant, venue enquêter en Guyane, en 2002 puis 2003, notamment sur des comptoirs d’or de Cayenne, la Direction Nationale des enquêtes fiscales (DNEF) en avait conclu, début 2004, que… Saint-Elie était « la plaque tournante de l’orpaillage clandestin en Guyane ». La DNEF avait aussi, à l’époque, enquêté sur deux commerçantes de Saint-Elie (deux des 18 personnes condamnées le 1er juillet dernier) dont Aura Zulémaro née Espinosa. Un magistrat du parquet aurait alors eu connaissance du rapport de la DNEF. Mais à cette époque-là, en Guyane, l’appareil judiciaire ne se précipitait pas pour instruire les affaires financières de l’or voire les affaires financières tout court. L’information judiciaire sur les commerces de Saint-Elie avait finalement été ouverte en… 2007. Et le juge d’instruction saisi de cette affaire avait fini par déboucher… en 2008 sur les comptoirs d’or de Cayenne, en lien avec Saint-Elie. Cette seconde affaire a finalement fait l’objet d’une autre instruction…

« Cette commune est un non-sens administratif »

« Cette commune est un non-sens administratif, dans son splendide isolement, une aberration tant son existence est organiquement liée à l’orpaillage illégal » avait déclaré, le 18 mai dernier, David Percheron, le représentant du ministère public, au cours de ses réquisitions. Il avait alors justifié de leur sévérité (jusqu’à 5 ans de prison dont 3 ferme) « parce que l’orpaillage illégal ronge le département (…) créée des poches d’absolu non droit où règne la loi du plus fort ». Il avait estimé « les dommages causés » par cette activité au moins égaux à ceux du « trafic de cocaïne ».

En mai 2008, un rapport du procureur de Cayenne au parquet général de Fort de France avait estimé qu’en 5 ans « 75 homicides ou tentatives d’homicides liés à l’orpaillage illégal » n’avaient pas été élucidés en Guyane. Et le procureur de préciser qu’il ne s'agissait que de « faits portés à la connaissance des gendarmes ».

En 2008, avec "Baixinho Oil", "le petit homme carburant", un passeur de mercure rencontré au bourg de Saint-Elie
(photo FF)

« Le vrai tribut de l'orpaillage illégal sont ces tombereaux de morts anonymes enterrés à la va-vite en forêt » avait pour sa part estimé M. Percheron dans ses réquisitions du 18 mai, comme un écho aux édifiantes données de ce rapport du parquet révélées en 2008 par La Semaine Guyanaise. « Ces espaces cachés sous les frondaisons de la forêt amazonienne sont une honte pour la République » avait poursuivi le ministère public dans un réquisitoire plutôt éloigné de la redondante langue de bois des autorités, en la matière.

« Opérations de banque : 22 kilos d’or au Brésil par téléphone »

Deux commerçantes ont aussi été reconnues coupables d’« opérations de banque ». De simples appels téléphoniques, notamment au comptoir d’or Ourominas d’Oiapoque au Brésil, depuis leur commerce de Saint-Elie, permettaient des virements bancaires sur des comptes de particuliers au Brésil correspondant à de l’or extrait illégalement sur Saint-Elie, alors même que la production n’avait pas encore quitté cette commune. L'or illégal de Saint-Elie ne rejoignait qu'ensuite le Brésil, en fraude. L’enquête judiciaire a estimé, à partir d’écoutes téléphoniques en 2008, que depuis l’un des 2 commerces concernés (celui de Carmita Moraes Cavalcante) l’équivalent de 22 kilos d’or avait été crédité sur des comptes au Brésil, en deux mois « si l’on additionnait les ordres donnés au téléphone (…). Sachant que la commission d’un commerçant était de 10%, Carmita Moraes Cavalcante avait fait un bénéfice de près de 40.000 euros en deux mois sur cette seule activité » avait conclu l’ordonnance de renvoi du juge.

Un personnage clef : un patron d’Oiapoque

Au sujet de ces liaisons directes durables et sulfureuses entre le Brésil et l’or guyanais, David Percheron avait, de fait, requis la peine la plus lourde « 4 ans ferme » et la confirmation du mandat d’arrêt à l’encontre d’un grand absent du procès : Antonio Uilson Da Costa Souza alias « Serra » dont le patrimoine « n’est rien d’autre » que le fruit « du blanchiment au Brésil de l’or de Saint-Elie » avait encore estimé le magistrat du parquet le 18 mai. Ce Brésilien propriétaire « peut-être de deux hôtels à Oiapoque (…)  tirait les ficelles depuis le Brésil. A Saint-Elie, il avait envoyé son frère Railson afin qu’il y soit ses yeux et ses oreilles dans son commerce (Saveur des Bois, ndlr) tenu par Isabelle Fonseca Gaspar » avait encore martelé le représentant du ministère public au procès.

« Serra », ce patron brésilien d’au moins un hôtel d’Oiapoque, l’hôtel « Paris », a écopé de 2 ans de prison ferme et fait l’objet, comme trois de ses compatriotes, d’un mandat d’arrêt. Au cours de l’enquête, au moins un témoin l’avait présenté comme un personnage « influent » de Saint-Elie. Les autorités du Brésil avaient indiqué, le 14 avril 2008, aux enquêteurs français que l’intéressé était alors en négociation pour acheter un second hôtel à Oiapoque, l’hôtel « Central » et avait proposé pour cela « un million de reals ».

Pas d’investigations financières au Brésil

Cette affaire judiciaire recèle néanmoins une faille : on n’y a pas mesuré la présumée évasion fiscale. L’instruction n’est pas allée étudier le patrimoine et les mouvements sur les comptes éventuels des prévenus au Brésil. « Cela a été un choix pour ne pas ralentir le déroulement du dossier » avait indiqué, en mai à La Semaine Guyanaise, une source proche de l’enquête qui précisait néanmoins : « c’est tout à fait possible de le demander au Brésil. La seule difficulté importante étant le temps que met ce pays à répondre. »

Outre l’environnement fiscal défaillant de nombre de commerçants, les enquêteurs s’étaient pourtant interrogés sur le gouffre entre certains chiffres d’affaires et le bénéfice déclaré au fisc. Exemple : en 2005, 425 845 euros de chiffre d’affaire pour l’une des commerçantes de Saint-Elie pour 18 826 euros de bénéfice déclaré. L’intéressée justifiant ce différentiel par de faibles marges. Un argument qui aura du mal à convaincre tout bon connaisseur des prix pratiqués à Saint-Elie vers 2007. Trois préservatifs : un gramme d’or selon l’enquête. Une paire de tongs : un gramme et demi…


FF
 


Voir aussi :

15/05/10 : Le feuilleton Saint-Elie, épisode 1
16/05/10 : Le feuilleton Saint-Elie, épisode 2
17/05/10 : Le feuilleton Saint-Elie, épisode 3
18/05/10 : Le feuilleton Saint-Elie. Premier jour de procès
23/05/10 : Le feuilleton « Saint-Elie » : contre-enquête
06/07/10 : Pour tout l’or de Saint-Elie : le premier verdict
 

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